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Monestarium

Monestarium

Titel: Monestarium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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ordre dix ans auparavant,
alors qu’elle n’était âgée que de seize ans, pour fuir un mariage qu’elle
n’avait ni l’effronterie ni le cœur ? [49] de refuser à son
père. Le gendre que se souhaitait ce dernier avait quarante ans de plus que la
ravissante Élise et souffrait d’une répugnante maladie de peau qui lui donnait
l’aspect d’un batracien cloqué. Ces défauts avaient été jugés de mince
importance en regard de la colossale fortune qu’il avait promis de mettre au
service d’un futur beau-père de vingt ans son cadet, ruiné par de calamiteux
investissements. Le lent clignement de paupières d’Élise apaisa un peu plus
l’abbesse. L’alacrité de sa fille chambrière dissimulait une force d’âme et une
ténacité peu communes. Quant à Hermione de Gonvray, elle patientait, à son
habitude. Leur vœu de silence avait fort peu dû contraindre l’apothicaire, tant
son économie de paroles confinait au mutisme. Elle répondait le plus souvent
aux questions d’un sourire, d’un hochement de tête, ou d’un pincement de
lèvres, selon qu’elle agréait ou désapprouvait. Un jour que Plaisance lui en
faisait la remarque, Hermione avait rétorqué de sa voix douce et grave :
« Qu’aurais-je à dire qui ne soit déjà ressassé ? » Toutefois,
ses rares sorties faisaient mouche. Il y avait chez cette femme aux yeux limpides
une rigueur, une inflexible exigence qui inquiétaient parfois l’abbesse.
     
    Les différents points à l’ordre du
jour avaient été passés en revue. N’en demeurait qu’un que Plaisance redoutait
d’aborder. Elle retint un soupir consterné. Comment allait-elle leur annoncer
que – sur ordre du pape, du roi, sans omettre la vive insistance du comte
Aimery de Mortagne dont la maladrerie ne parvenait plus à absorber l’afflux de
lépreux* – les Clairets devraient accueillir une cinquantaine de malades ?
La géographie de l’abbaye s’y prêtait mal. Comment épargner aux sœurs la vision
permanente de la déchéance physique, la crainte de la contagion, sans pour
autant reléguer un peu plus ces pauvres âmes en souffrance ? Elle avait
tourné et retourné le problème afin d’offrir au plus vite une solution de
nature à calmer les plaintes et les protestations qui ne manqueraient pas de
s’élever parmi ses filles. Une seule lui semblait appropriée. Diviser La
Madeleine, excentrée à l’est, tasser dans la plus grande surface les fillettes
repentantes et réserver la plus petite aux scrofuleux [50] .
    D’abord assez bien tolérés, les
lépreux de Terre sainte s’étaient mêlés à la population. La propagation de la
maladie* [51] avait étouffé toute magnanimité de la part des bien portants, effrayés par la
possible contagion. De victimes, les ladres [52] étaient devenus
coupables. Deux siècles plus tôt, on avait commencé de les parquer à la manière
d’animaux. Si certains de ces mouroirs avaient été richement dotés par les
familles des chevaliers croisés atteints, ils n’en demeuraient pas moins des
geôles. Il avait été fait interdiction aux malades de pénétrer dans les
édifices et lieux publics, et obligation de signaler leur approche au moyen
d’une cliquette [53] .
S’y étaient vite ajoutés des soupçons de commerce avec le diable et de sorcellerie.
Plaisance, pas plus que les autres, n’était dupe. On espérait qu’ils
trépasseraient au plus vite afin de débarrasser les vifs de leur encombrante
présence.
    Elle s’éclaircit la gorge. On fit
silence. Les huit paires d’yeux la dévisagèrent.
    — Mes filles, nous reste à
aborder le dernier point soumis à la réunion du chapitre élargi. Je… (Elle
raffermit le ton.) Peut-être est-il préférable que je vous précise dès l’avant
que notre… arbitrage n’est pas requis.
    Plaisance souhaitait presque être
interrompue afin de lâcher l’information qu’elle ne savait comment formuler.
Elle poursuivit :
    — Monsieur de Mortagne, notre
bon comte Aimery, s’est ouvert au roi de ses difficultés. Il… La maladrerie de
Chartagne* est bondée, depuis des années. Il arrive tous les jours à ses portes
d’autres malades que l’on n’y peut loger. L’idéal eût été d’agrandir
l’établissement, mais monsieur de Mortagne jugeant – à juste titre – qu’il
avait assez fait preuve de charité et de générosité, refuse d’en payer le coût.
Consulté sur cette épineuse situation, notre bien-aimé Clément V* a fait état
des

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