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Monestarium

Monestarium

Titel: Monestarium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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troussées, frappées, égorgées.
Il vit les serviteurs tirés de leurs bâtiments, empalés, décapités, brûlés
vifs. Il vit la folie, la rage et l’horreur s’abattre sur l’abbaye.
    — Et je suppose qu’Éloi, en
zélé second, vous laisse l’honneur de conduire la charge ?
    — Ben, j’suis l’chef,
non ?
    — Certes. Et vous deviendrez
aussi le bouclier humain transpercé par une pertuisane. Éloi ne veut pas
s’enfuir, mon maître. Où irait-il ? Où irions-nous tous ? Nous faire
massacrer par les gens du grand bailli, ou par les paysans du village
voisin ? Éloi veut vous faire tuer afin de prendre votre place.
    L’Ours le saisit à la gorge. Jaco ne
se débattit pas. Que lui importait de mourir maintenant ? Pauline vivrait,
et il avait semé le doute dans la cervelle obtuse de l’autre.
    — Gare à toi, l’asticot !
Si t’m’abuses, j’t’pends par tes tripes.
    Pourtant, il le lâcha.
    Jaco rongea son frein tout le reste
de la journée, attendant la nuit. Il tenterait de passer de l’autre côté de la
barricade afin d’avertir le secrétaire du comte. Il récita une muette
prière : que ses pieds ne le trahissent pas, qu’il trouve la force d’une
dernière prouesse. Peu lui importait ensuite son sort.
     
    Étrangement, ce soir-là, Aimery de
Mortagne n’insista pas pour associer son mire à leur souper, au prétexte
qu’Étienne Malembert était plongé dans la rédaction de ses carnets de pratique.
    Comme chaque soir depuis
l’effroyable scène du réfectoire, lorsque Aliénor de Ludain s’était affaissée,
l’abbesse tergiversa. Elle aurait préféré souper dans la petite salle attenante
à son bureau. Peut-être même aurait-elle commis le menu péché de commander un
feu, prenant prétexte de son invité. Cependant, elle hésitait à laisser le
champ libre à Hucdeline de Valézan qui alors présiderait le repas des moniales,
sautant sur cette nouvelle occasion pour leur remettre son autorité à l’esprit.
    Le premier service composé d’un
potage de congordes [152] au lait et aux jaunes d’œufs se passa dans un silence seulement troublé par des
bruits de déglutition et des sourires vagues de part et d’autre. Lorsque arriva
le deuxième, une tourte de limaçons [153] aux espinoches [154] relevés de clous de girofle et de muscade, le regard du comte devint perçant.
La supplette de table n’était autre que Marie-Gillette d’Andremont, ou plutôt
Alexia de Nilanay. La jeune femme ne le regarda pas, son attention concentrée
sur l’abbesse. Après son départ, le comte Aimery demanda d’un ton trop léger
pour être tout à fait anodin :
    — C’est étrange… Votre fille
semainière m’évoque une dame… sans doute la ressemblance d’une allure.
    — Vraiment ?
    Du réfectoire leur parvenaient les
entrechoquements des cuillers dans les écuelles, l’écho des grosses semelles de
bois raclant sur les dalles de pierre, parfois une quinte de toux. Pour la
première fois, ce silence imposé des repas porta sur les nerfs de l’abbesse qui
n’y trouva nul réconfort. Pour la première fois, elle eut la sensation
qu’aucune de ses filles, quelques mètres plus bas, ne mettait à profit ce
moment pour remercier Dieu de Ses bienfaits. Toutes retenaient un flot de
paroles, d’interrogations, de craintes.
    — Si fait.
    Aimery de Mortagne entama sa part de
tourte. Une fumée odorante d’épices s’en échappa. Il prit une longue
inspiration et demanda d’une voix où l’amusement le disputait à
l’agacement :
    — Me permettrez-vous une
goujaterie [155] ,
si je l’ose ?
    — Je doute qu’une goujaterie
puisse franchir vos lèvres, biaisa-t-elle.
    — Preuve de votre infinie
indulgence… en l’occurrence mal placée. Des mufleries peuvent me venir, des
bordées d’injures aussi.
    — Toutefois, vous m’épargnerez
les dernières, rétorqua-t-elle, plus sèche.
    — Pourrait-il en être
autrement ? Il faut aux bordées d’injures dignes de la soldatesque des
oreilles complaisantes. Sans quoi, elles manquent de saveur. La goujaterie,
donc. Madame, selon vous, quand cesserons-nous de croquer le marmot [156]  ?
    — Ah ça, monsieur ! Voilà
bien longtemps qu’on ne m’avait lancé une telle accusation au visage.
    — Longtemps ? Quinze ans
tout au plus.
    — Il suffit avec mon âge !
s’emporta-t-elle. Je ne goûte pas… cette comptabilité permanente.
    — Votre pardon. Sincèrement. Et
le

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