Monestarium
mots. Il l’éclaira :
— Béranger de Normilly, son
défunt époux, était un de mes chers amis, un valeureux compagnon. De grâce,
poursuivez.
— Que vous dire, tout s’emmêle.
L’ire de monseigneur Jean de Valézan après ma nomination. La hargne de sa chère
sœur, Hucdeline, pour les mêmes motifs. De cela, vous êtes informé. En
revanche, ce que je viens d’apprendre d’Aude de Crémont, dont la soudaine
sympathie à mon égard me demeure inexplicable, est… à tout le moins troublant.
Je vous le livre ainsi qu’elle me l’a narré.
Elle lui rapporta les insinuations
de la boursière au sujet de l’enherbement de la sous-prieure, la rencontre
nocturne d’Hucdeline avec le chasseur, à la porterie située non loin du
cimetière. Elle évoqua ensuite les confidences d’Hermione de Gonvray, l’apothicaire :
la disparition de cette pâte à base de grande ciguë et de colchique qui servait
à atténuer ses rougeurs et démangeaisons d’épiderme, expliquant du même coup la
poudre de manne dont elle se couvrait le visage.
— Je jurerais qu’Hermione était
sincère. Je la connais. Lorsqu’elle a procédé à cette expérience avec le rat
piégé, celui qui avait ingéré l’onguent dont elle se sert a survécu. Celui
auquel elle avait distribué les pâtes de prunes que nous avait remises
Hucdeline est mort d’asphyxie, à l’instar de la pauvre Aliénor…
L’abbesse se tut. Mortagne prit
garde de ne pas l’interrompre. Elle se passa une main sur le front et
acheva :
— Le reste… le reste me
désespère et si je vous l’ai tu, ce n’est pas par défiance, mais par crainte
des conséquences.
— Des conséquences ?
— Pour l’une de mes filles… que
je viens de libérer de ses vœux définitifs.
— Mais encore ?
— Monsieur, vous êtes homme de
haut [160] .
— Que je trépasse si je faillis
un jour à ce jugement, madame.
— J’exige de vous une nouvelle
parole avant de poursuivre.
— Laquelle ?
— Quoi que je vous annonce, je
vous demande de demeurer juste et de fouiller au-delà des apparences. Elles
sont souvent trompeuses. De fait, cette… jeune femme ne faisant plus partie de
mes bernardines, je souhaite qu’elle relève de votre justice.
— J’accepte et je promets de
chercher au-delà des semblants.
— Bien. Marie-Gillette
d’Andremont, la semainière de repas que vous crûtes reconnaître… se nomme, en
réalité, Alexia de Nilanay. Elle nous a… gravement abusées afin de rejoindre
les Clairets. Toutefois, et si tant est que je puisse accorder crédit à ses
dires, je saisis ses raisons.
— Je ne suis pas certain de
vous suivre…
— Le mieux serait que vous
l’entendiez. Je redoute de la desservir en vous les contant. Quoi qu’il en
soit, elle aurait été visée… Angélique Chartier serait morte à sa place. Leur
ressemblance, le passé de chacune, le lieu du meurtre, tout rend cette
hypothèse bien plus crédible qu’une vengeance sur cette pauvre jeune fille qui
selon moi n’avait jamais dû heurter la plus petite âme.
Lorsque les moniales descendirent la
nef pour rejoindre le porche de l’abbatiale Notre-Dame dès la fin de complies,
Plaisance de Champlois retint Alexia — Marie-Gillette – par la manche. La
jeune femme baissa la tête, sans même s’enquérir de ce qui l’attendait.
L’entrevue qu’elle avait eue plus tôt avec sa mère avait scellé son destin. De
cela, elle était certaine. Elle attendit donc, sans impatience, sans même
d’appréhension. Lorsqu’elles furent seules, l’abbesse annonça :
— Monsieur de Mortagne attend
votre venue dans le scriptorium. Je…
— Bien, ma mère… madame, je m’y
rends aussitôt, l’interrompit Alexia avant de disparaître.
Mortagne se redressa derrière son
scriptionale à son entrée. Il la considéra un long moment avant de lui concéder
un « madame », dont il s’appliqua à faire sentir toute la froideur.
— Monsieur.
Elle se rapprocha de lui, se tenant
debout, à quelques pieds à peine de cet homme qui pouvait l’envoyer d’un mot
derrière les barreaux d’une geôle, ou pis.
— J’ai ouï dire que
Marie-Gillette d’Andremont venait de disparaître au profit d’une Alexia de
Nilanay.
— On vous aura renseigné
adéquatement, monsieur, lâcha-t-elle d’un ton plat en le fixant.
— J’ai également cru comprendre
que d’acceptables raisons expliquaient cette… inacceptable
Weitere Kostenlose Bücher