Montségur, 1201
sud.
— Quelqu’un pourrait nous conduire à cet
ermite ?
Le cabaretier se tourna vers le berger.
— Buragach ? Tu as entendu ?
— Oui. Mais je vais repartir, mon maître doit
m’attendre à la bergerie.
— Ta bergerie est près du castrum de
Tarascone. C’est pas loin des grottes, et le seigneur te donnera un denier
d’argent.
L’œil du berger s’éclaira brusquement.
— Un denier ?
— Tu l’auras ! soupira Guilhem.
— Mais je dois partir maintenant, seigneur.
On m’attend !
— Donne-nous une heure. Avec nous, tu
voyageras sur un cheval. Tu iras à meilleure allure qu’à pied et tu ne te
fatigueras pas !
Chapitre 23
L e
comte de Foix étant parti pour Sainte-Gabelle, Guilhem n’avait pu le saluer.
Aussi avait-il annoncé son départ précipité seulement à Esclarmonde.
— Les cisterciens de Saint-Gilles sont à
Foix ! Que font-ils ici ? s’était étonnée la comtesse de l’Isle-Jourdain.
Elle avait reçu Guilhem dans sa maison natale, en
bordure de l’enceinte, pendant que Wolfram et Alaric faisaient porter leurs
bagages sur les chevaux. Comme la sœur du comte se trouvait en compagnie de
plusieurs notables de la ville, Guilhem avait dû se montrer évasif.
— Je crains qu’ils ne recherchent la même
chose que nous, noble dame.
Elle était restée un instant interloquée, brûlant
de poser des questions, mais ne pouvant le faire avec ses serviteurs autour
d’elle.
— Sire Guilhem, je n’ai pas eu le temps de
vous récompenser… avait-elle seulement dit.
— Je ne désire pas de récompense, noble
comtesse. Je m’arrêterai à Foix à mon retour, et je vous raconterai ce qui
s’est passé.
Elle avait fait appeler son intendant et donné des
ordres pour qu’ils puissent emporter toute la nourriture et le fourrage dont
ils auraient besoin, puis elle avait détaché son aumônière et la lui avait
tendue. C’était un petit sac écarlate brodé au fil d’or d’une croix
pattée : les armes de la seigneurie de L’Isle-Jourdain.
— On connaît cette aumônière, noble Guilhem,
avait-elle dit. Partout où vous la montrerez dans le comté de Foix, on vous
offrira le gîte et le couvert.
Il l’avait prise avec respect et reconnaissance.
L’escarcelle contenait une poignée de pièces d’or et d’argent.
Ils avançaient en file, lentement, sur le chemin
raviné remontant la vallée de l’Ariège. Guilhem, casqué et en haubert,
chevauchait en tête. Comme une douce caresse, l’épée du comte de Foix battait
son flanc, son ancienne lame étant attachée à sa selle à côté de sa hache.
Derrière suivait Sanceline avec le berger en croupe. Puis c’était Wolfram
tenant en longe le roussin de bât transportant armes, couvertures et
nourriture. Enfin Alaric fermait la marche.
Après avoir passé le pont sur l’Ariège, Guilhem
était persuadé qu’ils rejoindraient vite les moines. Pourtant ils ne les
rattrapaient pas. Chaque fois qu’ils rencontraient des paysans, des bergers,
des colporteurs ou des marchands, ils les interrogeaient, mais toujours
vainement.
Les palefrois étaient chargés. Les hommes
gardaient hache et rondache à portée de main et, à leur selle, pendaient des
sacs de fourrage, car dans la montagne les chevaux ne trouveraient rien pour
paître. Derrière le bât, ils avaient tous un coffre sur lequel était attachée
une arbalète dont la trousse pendait sur un côté. Guilhem avait aussi sa boîte
à vielle.
Autour d’eux, les pâturages enneigés étaient
bordés de noyers dénudés et de pins majestueux. Parfois ils apercevaient un
pâtre surveillant quelques chèvres broutant une herbe rare ou rongeant les
premiers bourgeons des taillis. La rivière coulait à pleins bords et des
torrents impétueux et écumants barraient souvent le chemin, tout comme
d’énormes blocs de granit ayant roulé des cimes. Heureusement leur guide
connaissait les gués et les passages. Sans lui, ils auraient perdu beaucoup de
temps.
À mesure qu’ils avançaient, les montagnes
paraissaient de plus en plus escarpées. Plusieurs fois, Guilhem observa des
traces de sabots fraîches. Alaric les lui signala aussi, mais il y avait des
chevaliers et des hommes d’armes à castrum Tarascone, lui dit le berger et ce
pouvait être les leurs.
Ils mangèrent leurs provisions, sans même
s’arrêter, car ils voulaient arriver avant la nuit. Plusieurs fois, ils
passèrent devant des masures où vivaient de pauvres bergers.
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