Montségur, 1201
forgeron plaçait le plus gros morceau dans le creuset,
puis le recouvrait de charbon.
La fonte prit plusieurs heures. À mesure que les
lingots, d’environ deux marcs chacun, étaient terminés, Alaric les arrosait
d’eau et Wolfram les rangeait dans les sacoches de selle. En début
d’après-midi, le fondeur termina le soixante-quatrième.
L’ayant payé, ils reprirent le chemin pour Foix où
ils arrivèrent à la nuit tombante. En chemin, Guilhem expliqua à ses compagnons
ce qu’il ferait de sa fortune.
— Chacun aura sa part. Toi, Alaric, qui a été
un fidèle serviteur, je te remettrai cinquante pièces d’or. Je souhaite te
garder à mon service, mais si tu veux t’établir et acheter des terres, je te
laisserai libre.
— Seigneur, je veux rester avec vous… et avec
votre gente dame.
En souriant, Guilhem lui fit un signe amical et
s’adressa à Wolfram.
— Ami, tu prendras une douzaine de lingots…
— Non, Kyot, l’interrompit l’Allemand,
accompagnant son refus d’un geste de la main. Nous avons déjà partagé le riche
butin pris aux valaques et j’ai retrouvé ma bourse. Je n’ai besoin de rien
d’autre. Déjà je rentrerai chez moi bien plus fortuné que je n’en suis parti,
même si je ne cesserai de pleurer la mort de mon ami.
— Wolfram, tu prendras cet or, si tu veux
conserver mon amitié ! Je n’aurais pu réussir sans toi. C’est ma décision.
Quant à toi, Sanceline, tu garderas deux douzaines de marc comme une dot qui
t’appartiendra en propre. Je ferai venir un notaire pour établir l’acte.
— Mais pourquoi, Guilhem ?
s’inquiéta-t-elle. Veux-tu que je retourne à Albi ?
— Ne sois pas sotte ! s’esclaffa Guilhem.
Tu m’as dit vouloir venir à Lamaguère et je vais te garder comme une pierre
précieuse ! Mais il peut m’arriver toutes sortes de désagrément. Si un
jour je perdais mes biens, je veux que tu sois protégée. Maintenant, ne parlons
plus de cela, ce serait inutile.
Ils se plièrent donc à sa volonté.
À Foix, ils prirent chambre dans une auberge où
ils laissèrent Sanceline, son père et Alaric. Guilhem et Wolfram furent ensuite
reçus par Esclarmonde à qui ils racontèrent leurs aventures, ne cachant rien de
l’émeraude de Lucifer et révélant la complète vérité. Les deux hommes avaient
bien sûr demandé à la sœur du comte de Foix d’être seuls avec elle pour ces
confidences.
Quand ils eurent terminé, elle resta longtemps
bouleversée et silencieuse avant de poser de nombreuses questions sur la mort
de Sanceline, sur son retour à la vie et sur la fin du comte Dracul.
— Ce que vous m’avez révélé est si étrange,
si troublant, que je ne sais que penser. Je veux parler à cette jeune femme.
— J’irai la chercher, noble comtesse, promit
Guilhem. Pour l’instant, elle s’occupe de son père.
— Cet homme est Parfait, m’avez-vous dit.
Comment interprète-t-il ce qui s’est passé ?
— Il est comme nous, noble comtesse, face à
des mystères que nous ne comprenons pas.
— Je me souviens de l’évêque Nicétas,
dit-elle. Il m’avait beaucoup impressionnée par sa science et sa sagesse.
Ainsi, il était venu ici pour être conduit à Montségur et découvrir l’émeraude…
le Graal de Chrétien de Troyes… celui de Perceval.
— Oui, il est descendu dans le gouffre. Il a
vu la pierre et l’a laissée. Sans doute connaissait-il ses pouvoirs maléfiques.
— La pierre de Lucifer… Ce que vous venez de
me révéler correspond à ce qu’on sait sur Alaric, si c’est bien lui qui l’a
prise à Rome, comme nous l’a affirmé le comte Dracul. Le roi des Goths est mort
quelques semaines après avoir quitté Rome. Savez-vous que l’on ignore pourquoi
il a disparu si jeune ? Sans doute gardait-il la pierre près de lui, et
elle l’a tué. Mais alors, pourquoi a-t-elle sauvé dame Sanceline et ne vous
a-t-elle rien fait, seigneur Guilhem ?
— Le Graal distingue les bons et les
méchants, noble comtesse. Personne ne peut aspirer à sa possession à moins d’y
être prédestiné par le ciel, répondit Wolfram [63] .
Esclarmonde regarda Guilhem avec attention, cherchant
une approbation. Cet Ussel, si redoutable, avait-il vraiment le cœur pur ?
— J’ai une autre explication, noble dame,
proposa Guilhem. Un grand médecin [64] m’a expliqué que dans les médecines, les propriétés changent suivant les
quantités que l’on utilise. Une faible mesure peut guérir là
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