Montségur, 1201
jamais
dormir sans être vêtue ; de ne pas trahir ta foi, quel que soit le genre
de mort dont on te menace ?
— Je le promets.
Aignan étendit sur elle un drap blanc qu’il avait
apporté et Pons posa sa main droite sur la tête d’Amicie. Dans la main gauche,
il tint le Nouveau Testament et lut à haute voix les premiers versets de
l’Évangile de saint Jean.
Il appela ensuite le Saint-Esprit sur l’âme de la
jeune femme, après quoi il lui noua à la main un fil de laine, qu’on appelait
symboliquement le vêtement.
De nouveau, Amicie demanda à être bénie et pria
Dieu qu’il la conduise, pauvre pécheresse, à une bonne fin.
Corona déclara derrière elle :
— Que Dieu te bénisse, Amicie de Villemur,
qu’il fasse de toi une bonne chrétienne et te conduise à une bonne fin.
L’assemblée reprit ensemble, Guilhem
excepté :
— Adorons le Père, le Fils et le
Saint-Esprit.
Corona implora ensuite Dieu de faire descendre sur
elle l’Esprit saint et consolateur.
La cérémonie était terminée et, avant de se
séparer, les participants se donnèrent un baiser de paix et une accolade
fraternelle.
— Je te bénis, Amicie de Villemur, conclut
Pons d’une voix douce. Que le Seigneur te sauve.
Une semaine s’était écoulée depuis qu’Amicie avait
brièvement repris ses sens et était devenue Parfaite.
Peu après la cérémonie, épuisée, elle était
retombée dans l’inconscience, incapable de manger et à peine de boire,
gémissant continuellement des douleurs ressenties.
Chacun était pessimiste. Dame Amicie avait encore
maigri et les deux Parfaits ne voulaient pas partir sans savoir si elle
reviendrait ou non à la vie.
Les Parfaits ne délivraient le consolamentum qu’aux malades dont ils étaient persuadés de la mort prochaine. Si celui-ci
survivait, en effet il devrait vivre sans pécher, à défaut de quoi il perdrait
la grâce reçue. Pour éviter ce grand malheur, beaucoup de consolés préféraient
se laisser mourir de faim ou s’ouvrir les veines. On appelait cela l’ endura .
Voilà pourquoi Pons et Corona voulaient rester.
Les deux diacres louaient leurs bras pour les
travaux agricoles et les moissons. Le reste du temps, ils réparaient les
chaussures, là où on les recevait. À Lamaguère, Thomas le cordonnier
connaissait ce métier mieux qu’eux, aussi les deux cathares travaillaient-ils
aux champs. Ils auraient pourtant pu s’en abstenir, puisque Guilhem leur
offrait logis et pitance aussi longtemps qu’ils le souhaitaient, mais ils
voulaient respecter la règle de vie des chrétiens qui était de gagner sa
nourriture à la sueur de son front.
Le soir, ils appréciaient quand même de retrouver
à table les gens du château. Seulement ce n’était pas pour être avec d’autres
cathares, c’était surtout pour parler aux gardes, aux domestiques et à leur
famille. Plusieurs restaient catholiques, même s’ils écoutaient les prêches, et
les Parfaits cherchaient à convertir leur âme en leur parlant de Dieu, de
l’Évangile et du salut.
Ils auraient surtout désiré la conversion de
Guilhem d’Ussel. Mais cela, c’était peine perdue.
Quelques jours plus tard, Aignan et Ermessinde
parurent guéris. Dès lors, ce fut elle qui s’occupa de sa maîtresse, lui
appliquant jour et nuit des cataplasmes de feuilles de saule. Avec ces soins,
les enflures diminuèrent et Amicie reprit conscience de plus en plus en plus
souvent. Sa santé s’améliora lentement et elle commença à s’alimenter.
La vie avait repris son cours dans le fief. À la
cognée et à la serpette, les hommes défrichèrent de nouveaux arpents de la
forêt. Les brebis donnèrent naissance à des agneaux et la laine tondue fut épaisse
et abondante. Beaucoup d’étoffes pourraient être tissées durant l’hiver.
Les jeunes enfants apprenaient à lire quelques
mots de latin avec la femme d’Aignan, tandis que les plus âgés conduisaient les
cochons dans les bois et ramassaient orties et baies pour les soupes. Méteil [20] et orge avaient bien
rendu, et les labours à l’araire allaient commencer après les abondantes pluies
d’automne. Enfin les raisins récoltés à maturité avaient donné un vin qui
s’annonçait charnu et charpenté.
Jamais les terres de Lamaguère n’avaient été aussi
prospères et pourtant Guilhem s’en moquait. Si Amicie ne s’était pas convertie,
leur mariage aurait été célébré durant l’Avent. Il ne songeait qu’à
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