Montségur, 1201
trop occupé en Normandie et dans le Poitou avec Arthur de
Bretagne [26] et Philippe Auguste pour être un danger pour Toulouse.
Or, depuis l’affaire des Baux [27] , et grâce au courage et à la
perspicacité de Guilhem d’Ussel, de nouvelles et chaleureuses relations
s’étaient nouées avec la maison de Barcelone. Pierre II, roi d’Aragon et
comte de Barcelone, dont le cousin Alphonse Bérenger était comte de Provence,
avait apprécié que Toulouse ne se ligue pas contre sa famille avec la maison
des Baux. Pour raffermir cette amitié, et puisque Raymond de Saint-Gilles était
désormais veuf, Pierre II lui avait proposé en mariage sa cousine Éléonore [28] .
À l’occasion des fêtes de Pâques, une ambassade de
Barcelone venait d’arriver à Saint-Gilles, car une telle union impliquait de
longues négociations sur la dot et les traités d’alliances qui s’en suivraient.
Esclarmonde, la sœur du comte de Foix était aussi
attendue au château où elle aurait des entretiens avec le comte de Toulouse
pour trouver un accord sur Saverdun. S’y joindraient les Villemur et le
beau-frère d’Amicie.
Le samedi 22 mars, tandis qu’un messager venait
d’annoncer à Raymond que le cortège d’Esclarmonde arriverait dans l’après-midi,
trois moines cisterciens montés sur des ânes se présentèrent au pont-levis du
château. Comme ils demandèrent à voir le comte, son intendant, Gaillard de
Fajac, les reçut dans la cour intérieure.
Chevalier ayant perdu un bras à la croisade, Fajac
avait une quarantaine d’années et dirigeait le château avec fermeté. Ses
attributions regroupaient les questions matérielles, la justice et la réception
des visiteurs.
Le moine à la tête du groupe se nommait frère Gui.
C’était un cistercien de l’abbaye de Fontfroide. De taille médiocre avec un
embonpoint précoce, signe qu’il était bien nourri, sa peau était luisante de
graisse et sa bouche lippue. Il avait un visage plein de bonhomie, malgré un
menton fuyant qui lui donnait par instants une expression sournoise. Ce fut lui
qui insista pour rencontrer Raymond de Saint-Gilles sur-le-champ.
Gaillard de Fajac l’éconduisit, expliquant que le
comte attendait plusieurs ambassades et qu’il n’avait pas de temps à leur
consacrer. Il leur proposa de revenir dans quelques jours.
Devant l’air contrarié de frère Gui, un second
moine intervint. Grand, le visage froid et dédaigneux, avec une tonsure
particulièrement courte, il considérait jusqu’alors l’intendant avec un immense
dédain comme s’il se jugeait d’un état supérieur au sien.
— Je suis Pierre de Castelnau, archidiacre de
l’église de Maguelone, dit-il. Frère Gui remplace frère Rainier, légat de notre
vénéré Saint-Père, qui a été rappelé à Rome. Je suis moi-même au service du
révérend abbé de Cîteaux. Si nous n’étions pas reçus maintenant, notre
Saint-Père pourrait en conclure que le comte de Toulouse ne prend guère à cœur
la lutte contre l’hérésie.
Il ajouta fielleusement :
— On rapporte déjà tant d’inquiétantes
rumeurs sur lui. Ne dit-on pas qu’il protège les hérétiques cathares ?
Qu’il aurait été converti et qu’il aurait toujours près de lui un Parfait afin
de recevoir le consolamentum si la mort venait à le surprendre ?
Devant les yeux effarés de l’intendant qui
n’imaginait pas entendre pareilles billevesées, Castelnau poursuivit :
— D’aucuns disent même qu’il témoigne si peu
de respect pour le service divin qu’il paye des jongleurs pour tourner en
dérision les prêtres lorsqu’ils officient…
Cette fois, Gaillard de Fajac leva une main
menaçante pour faire cesser la calomnie.
— Seigneur, n’oubliez pas que c’est le père
de votre comte qui, par le passé, a imploré l’assistance de Cîteaux…, intervint
frère Gui, plus conciliant.
— Nous exigeons de rencontrer le comte !
tonna le troisième moine.
Replet, trapu même, avec un visage haut en couleur
et un regard de braise, celui-là dégageait un mélange de hardiesse et de
méchanceté.
L’intendant lui jeta un regard de colère en
essayant de se dominer. Il n’avait qu’une envie : jeter ces frocards
dehors avec quelques coups de fouet, mais il ne pouvait le faire. Leurs
maligneuses menaces avaient porté.
— Attendez-moi un instant, mes bons frères,
se força-t-il à dire d’une voix neutre. Je vais interroger le seigneur comte.
Les laissant dans la cour,
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