Montségur, 1201
préparé un pot d’eau et parvint à
lui humecter les lèvres.
— Guilhem… Quel bonheur de te savoir près de
moi, ajouta-t-elle dans un murmure.
Sa main était glacée.
— Bons chrétiens…, ajouta-t-elle si bas
qu’ils durent se pencher… Je veux être consolée.
Guilhem eut l’impression que le froid de la main
d’Amicie se répandait dans son corps. Elle demandait le consolamentum !
Le sacrement donné avant la mort, ou à ceux qui devenaient Parfaits. Les
malades qui l’avaient reçu, et qui avaient survécu, devaient vivre en Parfaits,
ou se laisser mourir s’ils s’en sentaient incapables.
Jusqu’à présent, il avait gardé un faible espoir
qu’elle survive. À l’instant où elle avait repris conscience, son cœur avait
battu le tambour et l’euphorie l’avait submergé. Mais par ces derniers mots,
cette illusion venait de disparaître. Une fois consolée, morte ou vivante, il
l’aurait perdue pour toujours.
— Dame Amicie n’est pas cathare !
objecta-t-il en déglutissant.
Les deux diacres échangèrent un regard. C’était un
véritable obstacle.
Unique sacrement permettant de sauver l’âme, le consolamentum était entouré d’une immense solennité. Deux Parfaits étaient nécessaires pour
la cérémonie et, surtout, celui qui le recevait, devait non seulement être
cathare, mais s’être préparé par des prières et des abstinences. En
particulier, l’initiation était précédée d’un jeûne rigoureux.
— J’ai toujours suivi les prêches, à Saverdun
et ici, balbutia Amicie dans un faible souffle.
— C’est vrai, reconnut Pons.
— Guilhem, je t’en prie… aide-moi, fit-elle.
Je veux entrer en paradis.
— Si quelqu’un respecte vos principes, c’est
bien elle, s’entendit-il dire. Je ne l’ai jamais entendu mentir ou jurer. Elle
est la bonté même.
Il s’abstint sur les autres recommandations
cathares qu’elle ne respectait pas. Amicie dormait nue avec lui et mangeait de
la viande et des œufs.
— Ma sœur, veux-tu vraiment te rendre à notre
foi ? demanda Corona.
— Bénissez-moi, supplia Amicie.
Pons sortit de la besace le Nouveau Testament qui
ne les quittait jamais. C’était un bel ouvrage dont les pages sur vélin étaient
splendidement décorées.
— Seigneur, demanda humblement Corona à
Guilhem, la présence des croyants est nécessaire à la cérémonie.
Le consolamentum se célébrait publiquement
aussi bien en présence de catholiques romains que de cathares. Il devait se
dérouler dans une salle uniquement éclairée par des flambeaux. Chacun devait
s’être lavé les mains pour qu’aucune souillure ne troublât la pureté du lieu.
L’assemblée se rangeait en cercle autour du récipiendaire que le diacre
instruisait sur l’austérité de la vie qu’il connaîtrait, une fois consolé.
Guilhem eut un regard vers Amicie, qui gardait les
yeux clos, puis vers les deux Parfaits. Il ne croyait pas au consolamentum ,
il ne croyait ni en Dieu ni au Diable et se sentait pris au piège. Il aurait
voulu se battre, mais contre qui ?
Puis il songea aux épreuves qu’avait subies
Lancelot et il comprit qu’il devait jusqu’au bout être loyal à sa dame, même
s’il la perdait à cause de sa fidélité. Amors le velt [19] avait dit le chevalier de la
charrette.
— Je vais chercher Aignan et les autres,
décida-t-il.
Il s’absenta un long moment et lorsqu’il revint,
accompagné de quelques cathares, hommes et femmes, il annonça aux deux Parfaits
qu’il leur abandonnait la salle du château pour la cérémonie. Les femmes
installèrent donc Amicie sur une chaise haute que les hommes transportèrent.
Dans la grande salle, tous les cathares, hommes,
femmes et grands enfants, qui étaient venus de Paris, étaient là ainsi que
Bartolomeo, Alaric et sa sœur, son cousin Ferrand et Espes Figueira.
Tandis que Guilhem restait debout, les croyants se
placèrent autour de la chaise où se trouvait Amicie et s’agenouillèrent pour
recevoir la bénédiction des Parfaits.
Corona demanda alors :
— Amicie de Villemur, veux-tu te rendre à
Dieu et à l’Évangile ?
— Je le veux, répondit-elle d’une voix si
basse que peu l’entendirent.
— Dame Amicie, promets-tu de ne jamais mentir
ni jurer ; de ne plus toucher à un homme ; de ne tuer aucun animal et
de ne manger ni viande, ni œuf, ni laitage ; de ne plus te nourrir que de
végétaux et de poissons ; de ne rien faire sans prière ; de ne
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