Montségur, 1201
un
autre.
— Pour l’instant, on est en sûreté derrière
les pavois. S’ils ne viennent pas, c’est qu’ils ont peur !
— Mais qui est-ce ? Des marauds ?
demanda un des arbalétriers.
— Quels qu’ils soient, qu’ils soient
maudits ! cracha un autre, ils ont tué Aline, si douce et si gentille.
— Je suis sûr que c’est les gens de
Muret ! fit un autre.
— Ils auraient monté un traquenard si
loin ? demanda le sergent, dubitatif.
— Oui, pour qu’on ne les suspecte pas. Leur
comte voulait se venger de notre seigneur.
— C’est pas des flèches d’ici, remarqua un
autre. Regardez comme elles sont noires, noire comme celles des démons !
C’est le Malin et ses cohortes qui nous attaquent !
Tous se signèrent et le sergent commença un Notre
Père.
Les flèches ne pleuvaient plus, sans doute parce
qu’il n’y avait plus de cibles visibles.
— Sire Rigaud ! lança soudain une voix
apeurée, on est deux cachés ici.
La voix venait d’un fourré. Rigaud reconnut celle
d’un valet et ressentit un soulagement en découvrant qu’il y avait des
survivants au massacre.
— Qui d’autre a échappé ? demanda-t-il
plein d’espoir.
— Roux est mort, Fournière et Arnaude aussi,
je crois. Les autres, je sais pas. Nous, on a rampé jusqu’au fossé.
— Dame Esclarmonde ?
— Elle était dans la litière…
— Et dame de Villemur ?
— Je l’ai vue tomber, je crois qu’elle est
passée dans sa chute. Elle bougeait plus.
— Sang de bœuf !
Malgré le froid, le visage du sergent dégoulinait
de sueur. C’est lui qui devait décider. Jusque-là, il n’avait jamais qu’obéi
aux ordres de son seigneur. Il se creusa la tête et, enfin, une idée lui vint.
— Compaings, en restant à l’abri derrière les
pavois, on va reculer pour rejoindre ceux qui sont dans le fossé. On leur
donnera des armes et on tentera d’aller jusqu’aux chevaux, là-bas.
— Mais il n’y a que trois chevaux !
— C’est vrai… Alors, l’un de vous en prendra
un et galopera jusqu’à Sainte-Gabelle chercher du secours.
— On n’arrivera jamais aux chevaux !
grommela le plus pessimiste.
— Tu as une autre idée ?
— Non… allons-y.
Tenant leur pavois d’une main et leur arbalète de
l’autre, ils reculèrent dans un même mouvement, le sergent s’étant mis derrière
eux.
La manœuvre se déroula sans anicroche, mais alors
qu’ils n’étaient plus qu’à quelques pas des derniers survivants, une galopade
se fit entendre.
Ils s’arrêtèrent, la bouche sèche, le cœur
battant, mais prêts à tirer.
Des cavaliers surgirent de la forêt. Abrités
derrière écus ou rondaches, casqués, ils brandissaient haches et marteaux. En
un instant, ils furent sur eux. Les arbalétriers tirèrent mais les traits
atteignirent les rondaches. Ils n’eurent pas le temps de sortir leur épée.
— Massacre ! Mortaille !
Détranchez-les tous ! cria celui qui était en tête. Pas de
survivants ! Tuez d’abord les femmes. Tout ce qui est à eux est à
nous !
Frappant comme des forgerons, les coups de marteau
brisaient crânes et membres. Les lames étincelaient avant de trancher et
d’éventrer. L’air retentissait des cris de douleur, de pitié et de désespoir.
Le carnage dura plusieurs minutes, jusqu’à ce que les cavaliers fussent
certains qu’il n’y avait plus âme qui vive.
Satisfait du carnage, le chef descendit alors de
son cheval pour examiner les corps. Il avait saisi une dague et quand il voyait
un corps remuer, il l’enfonçait dans la gorge en riant.
Pourtant, à mesure qu’il avançait, sa satisfaction
s’effaçait. Plusieurs des femmes étaient belles, ou l’avaient été, parce
qu’après un coup de marteau sur la tête, elles étaient moins jolies. Il
regrettait de ne pas en avoir profité.
Il finissait de passer les corps en revue et
s’apprêtait à donner un ordre à ses hommes quand il entendit une cavalcade.
— Guerpissons [47] ! cria-t-il. Tant pis pour
le butin !
Chapitre 17
— Q u’allez-vous faire, Wolfram ? demanda Guilhem.
— Je ne sais pas… Je vais parler avec le
comte…
Il semblait désemparé.
— … Puis m’occuper de la mise en terre de
Conrad… Ce ne sera pas long, il voulait être mis dans une fosse, comme le
pauvre pécheur qu’il était, m’avait-il dit. Il ne demandait qu’une messe, et
surtout que je prie pour son âme… Ensuite, je rentrerai en Bavière.
— Ne
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