Montségur, 1201
dans la musique et la poésie les horreurs qu’il avait connues. Il est
devenu minnesinger . On s’était rencontrés lors d’une joute de
troubadours comme il y en a beaucoup dans les cours princières. Chez nous, ces
tournois sont aussi honorables que ceux livrés à l’épée et à la lance, car
autant périlleux. Il peut même arriver que le vaincu soit décapité.
— Décapité ? Pour avoir mal
chanté ? s’ébahit Guilhem, incrédule.
— Cela incite à se surpasser,
crois-moi ! J’ai participé à une telle épreuve en Thuringe. Dans la grande
salle d’un château s’étaient réunis les seigneurs et les dames les plus
honorables du pays. Au fond, sur une estrade, nous étions sept chevaliers,
parmi les plus illustres minnesingers. Nous nous sommes livrés à une guerre
poétique, un véritable tournoi en champ clos où le bourreau était présent et
devait donner la mort au vaincu. C’est ce que nous avions décidé en nous jetant
ce défi.
— Et alors ?
— Le landgrave s’était plié au jeu, sans pour
autant appliquer la sentence, mais d’autres le font quelquefois. Ce qui est
sûr, c’est que les vaincus perdent leurs armes et leur palefroi, et qu’ils
subissent toutes sortes d’opprobres. Ces tournois nous mettent donc tellement
en péril que nous devons nous préparer au mieux. Je chantais déjà le Chevalier
à la charrette et le Conte du Graal , mais je ne jouais pas aussi
bien que Conrad. Comme les joutes se font aussi à deux, nous avons décidé de
rester ensemble et de mener une vie de chevaliers et de troubadours errants.
Nous obtenions de bons succès, lui jouant de la harpe et moi avec ma voix. Ceci
jusqu’au jour, c’était il y a presque quatre ans, où on a rencontré un
chevalier toulousain qui nous a dit venir de Montsalvage, un pays entre
Carcassonne et Foix…
« … En vérité, Conrad n’avait jamais cessé de
penser à l’émeraude qu’il aurait voulu offrir à son ordre. Il m’a alors raconté
l’histoire, et j’ai remarqué les curieuses concordances avec le récit de
Chrétien de Troyes. Durant une année, nous avons recherché tout ce qui avait
été écrit et rapporté sur l’émeraude, sur les Goths et sur la façon dont
Chrétien de Troyes avait eu connaissance du récit du Graal et de Perceval. Nous
avons visité des dizaines d’abbayes, rencontré quantité de moines copistes et
consulté des centaines de parchemins et de chroniques, tant des royaumes de
Bretagne, de France et d’Irlande. Quand il nous est apparu qu’il y avait autre
chose qu’une légende, Conrad s’est décidé à écrire à Flégétanis. Il a fait
parvenir sa lettre par différentes commanderies d’ordres hospitaliers. Je te
l’ai dit, nous n’avons eu de réponse que bien plus tard, car Conrad avait
demandé qu’on lui écrive à la cour du landgrave d’Eisenach. Dans son courrier,
Flégétanis indiquait l’endroit où habitait le rabbin et demandait à Conrad de
venir. Il le suppliait aussi, sur son honneur, de garder le secret. Conrad
détruisit donc le pli sans rien me révéler, mais en me proposant de
l’accompagner.
Il écarta les bras.
— Pour moi, la quête s’arrête ici.
Pendant un moment, le silence s’installa.
— Pas très loin de Fanjeaux, le pays est
montagneux, fit alors Guilhem. J’ai eu l’occasion de m’y rendre. Les habitants
l’appellent le païs de salvatches . Non loin de là se trouve une montagne
qui a pour nom Montségur. Il y a un lac à quelques lieues, des grottes et des
fontaines que l’on dit habitées par des fées.
— Ce pourrait bien être là ! s’exclama
Wolfram, brusquement excité.
— Mais c’est un pays immense et sauvage.
Rechercher la cachette de l’émeraude reviendrait à chercher un grain de sable
dans la mer.
Le silence retomba. Wolfram reconnaissait que
Guilhem avait raison, mais en son for intérieur, il ne voulait pas renoncer.
— Je vais m’y rendre ! décida-t-il. Avec
ce que tu viens de me révéler, je peux continuer seul. Je dois le faire, au
moins pour la mémoire de Conrad.
Guilhem soupira. Il craignait de trouver Lamaguère
sans attrait avec l’absence d’Amicie. Pourquoi ne pas accompagner
Wolfram ? Après tout, ramener une pierre ayant appartenu à un archange était
un défi à sa mesure. Si Perceval y était arrivé, pourquoi pas lui ?
À cette idée, il se sentit même ragaillardi.
— Je viendrai avec toi, Wolfram. Je ferai une
lettre pour celui qui
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