Montségur, 1201

deviez-vous pas aller à Tolède ?
    — Oui, mais seul Conrad connaissait celui que
nous devions rencontrer.
    — Il ne vous l’avait pas dit ?
    — Non, et je respectais sa discrétion. Le
secret du Graal ne doit pas être révélé.
    Guilhem ne répondit pas. La mort de Conrad ne le
regardait pas, même s’il avait apprécié le chevalier teutonique. Pourtant il
ressentait une inexplicable frustration à l’idée qu’il ne connaîtrait pas le
secret de l’Allemand.
    — Et vous, chevalier, qu’allez-vous
devenir ? s’enquit l’Allemand.
    — Je m’apprêtais à partir, à rentrer dans mon
fief de Lamaguère, quand vous êtes venu m’annoncer la disparition de Conrad. Sa
triste mort aura repoussé mon départ d’une journée.
    Il resta silencieux un moment avant
d’ajouter :
    — Qu’y avait-il de vrai dans ce qu’a raconté
Tannhäuser ?
    — Tout ! Voulez-vous entendre l’histoire
complète ?
    Guilhem hocha du chef.
    — Conrad était non seulement un valeureux
chevalier, mais aussi un grand médecin. Il m’a appris tant de choses ! À
Saint-Jean-D’acre, il s’était battu avec courage. Mais quand les croisés se
sont réfugiés dans la ville, la promiscuité, la saleté et la chaleur ont
provoqué d’épouvantables épidémies. Il y avait la suette, la peste et bien
d’autres affections qui n’ont même pas de nom. Les malades étaient si nombreux
que Conrad s’est installé à l’hôpital pour soigner, comme son engagement chez
l’ordre teutonique l’exigeait.
    « Dans l’Hôtel-Dieu, ce n’était que
souffrance et misère. Ceux qui y entraient ne le quittaient que morts, après
une douloureuse agonie. On mettait les gens à six dans les lits où ils
étouffaient de chaleur, couverts de grosses mouches, car il n’y avait pas assez
de serviteurs pour nettoyer sang et excréments. Conrad donnait des soins ;
il pansait et réconfortait. Il avait aussi observé que ce qui soulageait le
plus les souffrances, c’était de raconter aux malades des histoires
merveilleuses et de leur faire entendre de la musique. Nous ne nous
connaissions pas alors, mais Conrad était déjà un minnesinger réputé. Il
connaissait les contes de Chrétien de Troyes. Il chantait donc aux malades les
exploits de Lancelot et de Perceval.
    « Un jour, après avoir entendu le conte de
Perceval, un médecin juif au service d’un chevalier catalan, qui venait aussi
soigner les malades, lui raconta à son tour une vieille légende.
    « C’était l’histoire de l’émeraude de
Lucifer. Apportée dans le Toulousain par les Goths du Danube, elle avait été
volée à Rome par le roi Alaric lors de la prise de la ville. La pierre venait
de Joseph d’Arimathie qui, lui-même, l’avait tenue des anges. Cette émeraude
guérissait les malades et les blessés, elle donnait la vie, mais la prenait
aussi.
    — Comment cela pourrait-il être
possible ?
    — Je ne sais. Le médecin juif l’ignorait
aussi, car Conrad l’avait bien sûr questionné. Dans le Toulousain, c’est le roi
Alaric II qui la conservait dans un coffre et, quand l’armée de Clovis
s’était approchée, il l’avait cachée.
    — C’est à peu près ce qu’a raconté le comte
Dracul, remarqua Guilhem. Mais pourquoi avoir transformé le récit de Chrétien
de Troyes en y ajoutant l’émeraude et avoir dit qu’elle était dans le
graal ?
    — Parce que c’est la même histoire !
Chrétien a repris une vieille légende bretonne, celle du preux Pérédur. Mais
dans ce récit, la cérémonie du graal au château du roi pêcheur est très
différente. Connaissez-vous l’histoire ?
    — Je l’ai entendue, et je me souviens qu’on
n’y parle ni du graal ni d’émeraude.
    — Absolument ! D’abord, le château
s’appelle le château des Merveilles. Ensuite, si Pérédur est bien reçu chez un
vieillard blessé, qui s’avère être son oncle, il voit entrer dans la salle deux
hommes portant une lance et deux jeunes filles avec un bassin. De la pointe de
la lance tombent des gouttes de sang. Quant au bassin, il contient une tête
d’homme. La lance et la tête sont là pour rappeler à Pérédur qu’il doit venger
un de ses parents tué par des sorcières. Les mêmes qui s’en sont pris à son
oncle. Celui-ci ne sera guéri que le jour où leur puissance sera détruite.
    « Le château des Merveilles est situé dans
une île au milieu d’un lac. Personne ne peut le trouver. Or, Chrétien a entendu
parler de