Montségur, 1201
campement.
— Crois-tu qu’Alaric ait été pris ?
demanda-t-elle.
— C’est possible, mais je n’en crois rien. Il
s’appelle Alaric ; le sang de ses ancêtres goths coule dans ses veines.
C’est un chasseur incroyable qui connaît parfaitement la forêt et ceux qui
l’habitent. Il sait mieux se dissimuler qu’un renard.
Il ne dit pas que c’est pour ces raisons qu’il le
soupçonnait d’avoir lâché les frelons sur Amicie, que peut-être il ne fallait
plus compter sur lui, car il pouvait y avoir une raison toute simple à son
absence : qu’il ait rejoint ceux qui pourchassaient Esclarmonde et Amicie.
Auquel cas, ils auraient un adversaire de plus. Un rude adversaire, de surcroît.
Mais c’était aussi pour le mettre à l’épreuve
qu’il l’avait laissé en chemin. S’il revenait et ne les trahissait pas, il
aurait gagné un fidèle écuyer.
Au campement, les autres avaient entreposé du bois
mort dans l’abri. Trois grands foyers brûlaient. Le plus gros feu, devant
l’entrée de leur hutte, donnait peu de chaleur et beaucoup de fumée, mais il
éclairait bien les alentours. Wolfram était en train de préparer les armes et
de tendre les cordes des arbalètes. Archéric de Salins faisait le guet.
Sanceline rejoignit les femmes dans l’abri. Elles
préparaient leur frugal souper composé de deux pains et de fruits secs, d’un
peu de porc salé et des gourdes d’eau et de vin. Guilhem entra derrière elle et
s’adressa à Esclarmonde de Foix.
— Noble comtesse, laissez-moi vous présenter
dame Sanceline. Vous l’avez peut-être entendue tout à l’heure, elle vient
d’Albi et a foi dans les deux principes. Elle faisait partie d’un groupe de
tisserands cathares que j’ai sauvé du bûcher à Paris, il y a deux ans.
Eux-mêmes avaient protégé la vie de mon meilleur ami, le sire Robert de
Locksley. Jugés hérétiques, ils ont été bannis par le roi de France et je
m’étais engagé à les conduire à Albi. Une partie d’entre eux, dont dame
Sanceline, s’y sont installés, et les autres m’ont accompagné à Lamaguère. Dame
Amicie les connaît.
Amicie approuva d’un signe de tête assez froid.
— Le père de Sanceline est Parfait, noble
dame, poursuivit-il. Comme les diacres, il prêche sur les routes et les
chemins. Or, depuis deux mois, il a disparu. Conduite par les diacres Pons et
Corona, dame Sanceline est arrivée à Saint-Gilles le lendemain de votre départ.
Elle sollicitait mon aide pour le retrouver.
Esclarmonde hocha du chef, dissimulant à peine son
incompréhension. Guilhem d’Ussel était un noble chevalier fieffé et cette fille
une humble tisserande. Pour quelle raison avait-il accepté de se placer à son
service ? Était-elle sa maîtresse ?
Amicie, elle, gardait un visage fermé, persuadé
que son ancien amant l’avait déjà oubliée… et remplacée.
Comme les deux femmes ne posaient aucune question,
Guilhem jugea en avoir assez dit et sortit surveiller les environs.
Après son départ, les occupants de la hutte
s’accroupirent autour de la nappe – un simple drap blanc –
qu’Esclarmonde avait étendu à même le sol. Le Parfait fit une brève
bénédiction, suppliant le Seigneur de leur accorder le salut, puis il prit le
pain, le bénit, et en distribua des morceaux aux convives en déclarant :
— Que la grâce de notre Seigneur soit
toujours avec vous.
Chacun, recevant son morceau, déclara à son
tour :
— Bénissez-moi.
Le Parfait répondait :
— Dieu vous bénisse.
Seul Eschenbach ne dit rien. Il ne considérait pas
les cathares comme des hérétiques, mais, de tempérament logique, il ne
comprenait pas leurs préceptes, trouvant étrange qu’ils bénissent le pain qui,
par nature, était une production de la terre, donc du Démon.
Ils mangèrent dans un silence pénible. Sanceline
et Amicie, en face l’une de l’autre, s’observaient en gardant les yeux baissés.
Esclarmonde restait muette et le Parfait priait entre chaque bouchée. Mal à
l’aise, Eschenbach les abandonna pour porter à Guilhem sa part de pain et de
porc, observant que les premiers flocons commençaient à tomber. Malgré
l’inconfort et le péril de leur situation, il trouvait doux d’être à l’abri.
Le repas fut terminé, Esclarmonde interpella
Guilhem, toujours devant l’entrée de la hutte.
— Seigneur d’Ussel, il est temps de nous
apprendre pourquoi vous alliez à Foix. Ne deviez-vous pas rentrer à
Lamaguère ?
Weitere Kostenlose Bücher