Montségur, 1201
d’une voix cassée. Mes biens ?
— Sans doute, puisqu’ils ne les ont pas
obtenus. Mais ils veulent peut-être aussi autre chose…
— Quoi donc ?
— Nous en parlerons plus tard, noble
comtesse… Ce n’est qu’une supposition. La nuit va tomber et il est nécessaire
de bâtir un abri. Cet endroit ne me parait pas plus mauvais qu’un autre pour
nous installer.
Guilhem désigna un petit monticule à l’écart. Les
pins étaient nombreux aux alentours.
Il descendit du cheval pendant que le Parfait
s’adressait à lui :
— Je me nomme Archéric de Salins, sire Guilhem.
J’étais chevalier et j’ai combattu pour le tombeau de notre Seigneur, en
Palestine, jusqu’à ce que je croise la route d’un Parfait qui m’a éclairé.
Dites-moi ce que je dois faire pour me rendre utile.
— Maître Archéric, prenez une de nos haches
et coupez de longues et solides branches. J’en veux huit de deux cannes
environ.
En quelques mots, et à l’aide de brindilles, il
lui expliqua le genre d’abri qu’il voulait construire. Après quoi, il s’adressa
aux femmes :
— Dame Esclarmonde, et toi Amicie, apportez
toutes les pierres que vous trouverez pour faire un muret autour de cette
butte. Quant à toi, Sanceline, va sur le chemin par où nous sommes arrivés et
fais le guet. Qu’on ne soit pas surpris.
Si personne ne discuta ses ordres, Esclarmonde de
Foix ne bougea pas tout de suite. Une question lui brûlait les lèvres :
— Seigneur Eschenbach, dit-elle en
s’adressant à l’Allemand. J’ignore pourquoi vous vous rendiez à Foix, mais je
m’étonne de vous voir seul. Avez-vous laissé votre compagnon à
Saint-Gilles ?
— Conrad de Tannhäuser est mort, madame. Il a
disparu le matin de votre départ. Nous avons retrouvé son corps dans
l’Aussonelle. Le prévôt du comte Raymond a conclu à un accident, mais je suis
persuadé qu’il s’agit d’un meurtre. Voilà pourquoi je suis seul.
— Assassiné ! s’écria Esclarmonde,
horrifiée. Mais pourquoi ?
— Pour le Graal, noble dame, intervint
Guilhem. Mais de cela aussi, nous parlerons plus tard.
Il fit signe à l’Allemand de venir avec lui et ils
conduisirent les bêtes où elles pourraient paître. Ils les attachèrent, les
dessellèrent puis descendirent les coffres des bâts des mules. Ensuite,
Eschenbach prit sa hache et partit couper des branches avec le Parfait, pendant
que Guilhem examinait attentivement le monticule où il bâtirait l’abri.
Ayant trouvé une portion de terrain meuble, il
entreprit de creuser des trous. À mesure que les hommes apportaient les
perches, il les assemblait par deux, les nouant à une extrémité, avec de la
cordelette de chanvre. Il fit ainsi trois couples qui seraient comme des
nervures de voûte. Pour chaque couple, il planta l’autre extrémité des piquets
dans les trous, chacun à deux toises l’un de l’autre. Au sommet de ces couples,
dressés dans le même alignement, il attacha les deux dernières branches pour
former le faîte d’un toit. D’autres branches transversales furent liées sur
cette armature avant qu’ils y déposent un épais feuillage de branchettes et des
plaques de mousse.
Pendant ce temps, les femmes empilaient des
pierres en un muret autour du monticule. Il n’empêcherait personne de le
franchir, mais, de l’autre côté, les défenseurs seraient en position favorable
avec hache ou épée.
Une grosse heure s’écoula et la nuit s’approchait
quand ce fut terminé. Bien que fatigués, ils transportèrent coffres, selles et
harnais dans la cabane.
À l’intérieur de leur abri, Amicie et dame
Esclarmonde installèrent des couchettes avec les étoffes, les fourrures et les
tapis des coffres. Elles ramassèrent aussi des fougères pour avoir un peu de
confort.
Inquiet de l’absence prolongée d’Alaric, Guilhem
partit chercher Sanceline. Elle venait justement d’entendre le hennissement
lointain d’un cheval. Ce ne pouvait être Alaric, puisqu’il était à pied.
— Cela devait venir du chemin de
Sainte-Gabelle, suggéra-t-elle.
— Peut-être… Quoi qu’il en soit, il est
maintenant inutile de poursuivre le guet. Les loups sont nombreux ici et, avec
la nuit, les meutes vont s’approcher.
— S’en prendront-ils à nous ?
demanda-t-elle en frissonnant.
— Nous avons des feux pour nous protéger. Par
contre, si des méchants sont à nos trousses, les loups s’attaqueront d’abord à
eux.
Ils revinrent vers leur
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