Montségur et l'enigme cathare
plus jeune, parvient
au stade final : mais là, il s’endort pourtant, tant le poids de la
matière est contraignant. C’est alors à l’âme angélique de lui indiquer le
chemin à suivre, tout au moins l’indication théorique de ce chemin. Car le plus
dur reste à faire : retrouver le Château dans les Airs en s’adressant à
des guides qualifiés pour ce faire. Et le résultat ne sera positif que si le
jeune héros se sépare d’une partie de sa chair : cela symbolise assez
clairement l’abandon d’une certaine matérialité.
À l’intérieur même du schéma du conte, il y a quête , et c’est évidemment ce qui compte le plus
pour retourner aux origines. Mais si la Lumière originelle demeure abstraite, trop
lointaine pour être appréhendée par la conscience humaine, elle n’offre aucun
intérêt et ne suscite aucun désir de la part de l’Ange déchu. Il faut donc que
cette Lumière originelle soit transposée dans le domaine des réalités sensibles :
d’où l’image du Château dans les Airs, retenu par trois ou quatre chaînes d’or
ou d’argent, de toute façon brillantes. Mais retenu à quoi ? Au ciel, à ce
ciel mystérieux qui est le lieu où la Lumière ne connaît pas de bornes. Parfois,
ce sont quatre lions qui retiennent le château : les lions sont signe de
feu, donc de lumière, en même temps que de force et de noblesse, et par là, nous
retrouvons la noblesse des origines.
Cependant, ce château dans les Airs devient objet fantasmatique.
Il est le miroir où se reflète ce qui est en haut, le prisme vers lequel
convergent tous les rayons du soleil. C’est par cette image particulièrement
envoûtante que la créature déchue maintient son espérance et engage son action.
Le thème a circulé pendant tout le Moyen Âge et s’est intégré à de nombreuses
légendes. C’est ainsi qu’on le retrouve dans celle de Tristan et Yseult, décidément
très liée au catharisme, tout au moins dans l’un des épisodes de cette légende,
la Folie Tristan .
Il s’agit du récit de l’une des visites de Tristan à la
reine Yseult, au nez et à la barbe du roi Mark (qui représente la nuit). Le
héros est déguisé en fou (d’où le titre de l’épisode), c’est-à-dire en bouffon,
ce qui lui permet de délirer impunément devant la cour et de parler à Yseult en
un langage d’une parfaite ambiguïté. À un moment, le fou demande au roi de lui
confier la reine Yseult. Mark demande alors où il l’emmènera. Tristan répond :
dans une chambre de cristal, là-haut, dans le ciel, où tous les rayons du
soleil convergent, et où Yseult et lui-même pourront connaître le bonheur
absolu.
Ce n’est pas une image inventée par l’auteur du texte de la Folie Tristan . On la retrouve dans deux récits très
anciens de l’épopée irlandaise, La Navigation d’art et l’Histoire d’Étaine [38] .
Dans le premier récit, il s’agit d’une « chambre de cristal » où le
jeune héros se régénère ; dans le second, il s’agit d’une « chambre
de soleil » où l’héroïne, sous l’apparence d’un insecte, recueillie par le
héros Œngus, va reconstituer ses forces anéanties par une violente tempête
magique. Et, dans un troisième texte épique irlandais, La Navigation de Maelduin , c’est au milieu d’une citadelle
de verre, dans une chambre de cristal où sont des cuves remplies de breuvage
intarissable, que le héros est accueilli par la reine de l’île mystérieuse, une
île qui représente nettement cette image de la forteresse perdue dans les airs.
On doit d’ailleurs se souvenir que lorsque Merlin, l’enchanteur
des romans de la Table ronde, est envoûté par la fée Viviane à qui il a livré
volontairement ses secrets, il se retrouve dans un château invisible, au milieu
de la forêt : et ce château est défini comme étant soit une prison d’air, soit
une forteresse de verre. L’image mythologique est identique : il s’agit
bel et bien d’un endroit considéré comme le creuset où se fondent les rayons du
soleil, une sorte d’ athanor où s’opère la
métamorphose de la Matière première en Pierre philosophale. Le Château dans les
Airs, ou toute autre figuration équivalente, toujours donné comme possession d’un
enchanteur, ou d’une fée, ou d’une reine mystérieuse qui est en fait l’antique
déesse Soleil, est le lieu de la transmutation .
Et si l’on parle en termes cathares, c’est là que la créature, engluée dans
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