Montségur et l'enigme cathare
qu’à augmenter mon chagrin et ma peine ? » Et
la princesse, au lieu de faire boire un philtre au héros, comme Yseult à
Tristan, jette les clefs d’or dans la mer.
Bien entendu, lorsqu’elle est mise en présence du roi qui
doit devenir son époux, elle ne consent au mariage que si on lui amène ici son « beau
château qui est supporté par quatre chaînes d’or, et par quatre lions ». Il
est évident que la princesse, qui appartient à l’Autre Monde celtique, se
trouve en exil auprès du roi de Bretagne. Et pour que cet exil soit moins
sensible, elle exige la présence de ce « Château dans les Airs » qui
sera pour elle une sorte de lien avec l’Autre Monde d’où elle vient. Le thème
est cathare : l’Ange déchu – la princesse – a dans sa mémoire la Lumière
primordiale, et elle essaie par un rituel symbolique de reconstituer cette
Lumière perdue.
Le « Château dans les Airs » apparaît dans de
nombreux contes populaires, non seulement de Bretagne, mais de toutes les
régions d’Europe. Dans la Saga de Koadalan , un
étrange récit breton [33] , le magicien Foukes
habite « dans un château d’or, retenu par quatre chaînes d’argent, entre
le ciel et la terre ». Dans un autre récit breton, Les Femmes-cygnes [34] , les filles d’un puissant
enchanteur « habitent un beau palais tout décoré d’or et de cristal, un
beau palais qui est très haut dans le ciel, retenu par quatre chaînes d’or
au-dessus de la mer ». Dans la version languedocienne de ce conte, La Montagne noire [35] , les filles de l’enchanteur
sont des femmes-canes, et le château se trouve sur une très haute montagne. Il
en est de même dans la version basque du conte [36] . Mais l’élément essentiel
est la présence de ce château d’allure très solaire dans le ciel, quel que soit
le moyen par lequel il est accroché, par des chaînes, ou sur un piton rocheux. Disons
cependant que le thème des femmes-cygnes semble le plus archaïque : le
cygne est un animal hyperboréen solaire, et la mythologie celtique fourmille d’exemples
de femmes pouvant apparaître sous forme de cygnes. Ces femmes appartiennent à l’Autre
Monde ; ce sont des fées, des divinités ou, selon la terminologie cathare,
des Anges. On les retrouve d’ailleurs dans la mythologie germano-scandinave, où
la valkyrie, amoureuse du héros Siegfried-Sigurd, apparaît elle aussi sous l’aspect
d’un cygne, preuve supplémentaire de son symbolisme solaire.
Mais c’est dans un autre conte breton, Le Château dans les Airs [37] ,
que la trame prend toute sa signification. Le jeune héros, qui est parti à l’aventure
pour gagner sa vie, se trouve aux prises avec des difficultés sans nombre. Il
parvient à les résoudre grâce à sa volonté et à son habileté, mais le voici
dans un château hanté dont il lève les enchantements. Or, dans le jardin de ce
château, se trouve une jeune fille à moitié plongée dans un puits. Ce thème est
celui du château de Douloureuse Garde, où Lancelot du Lac, dans la version en
prose du XIII e siècle, doit accomplir des
prodiges, en particulier sortir la jeune fille du puits d’enfer où elle est à
demi plongée. Mais, dans le conte breton, le héros doit veiller trois nuits
pour délivrer la jeune fille. Il y parvient, mais s’endort quand même à la fin.
« La jeune fille ne pouvait pas le réveiller. Cependant elle lui dit :
Tu me trouveras dans un château attaché par trois chaînes d’or au-dessus de l’eau,
mais tu n’y arriveras pas avant d’avoir usé une paire de souliers ferrés. »
Et le jeune homme se lancera dans cette quête du Château dans les Airs, et le
découvrira grâce à l’aide d’un vieillard, de trois corbeaux, d’une bande de
chats-huants et d’un géant à qui, durant le voyage, il
doit donner à manger un morceau de sa fesse.
Tous ces détails sont significatifs. La princesse n’est
autre que l’âme angélique qui demeure encore dans le royaume de Lumière, comme
l’espoir ancré au cœur de chaque créature. Il suffit de partir à la recherche
de cette âme pour reconstituer l’unité primitive brisée lors de la chute. Mais
tous ne sont pas capables de mener à bien cette quête : dans la plupart
des contes, les deux frères aînés du jeune héros sont partis et ont échoué pour
une raison ou une autre, mais en réalité parce qu’ils étaient incapables de
voir plus loin que leur enveloppe charnelle. Le héros, toujours le
Weitere Kostenlose Bücher