Montségur et l'enigme cathare
pas cathares, d’ébaucher une hypothèse satisfaisante pour tout le monde.
On se souvient du rôle tenu par l’Évangile de saint Jean
dans la doctrine cathare, particulièrement par ce qui concerne le Verbe et la
Lumière, les deux étant d’ailleurs identifiés. Il s’agit, pour les Cathares, de
trouver dans les textes une justification de leur croyance dans un royaume
primordial de la Lumière. Ils se sont également appuyés sur un texte apocryphe
de la tradition biblique, La Vision d’Isaïe , dont
trois manuscrits nous ont conservé une traduction en éthiopien d’après un
original grec aujourd’hui perdu. C’est une sorte de compilation autour du personnage
du prophète Isaïe et surtout de son ascension jusqu’au septième Ciel. Il est
probable que La Vision d’Isaïe provient du
même modèle archaïque que le récit mazdéen connu sous le nom de « Livre d’Arda
Virâf » : au cours d’une extase de sept jours, le héros est emporté
au firmament et visite les sphères de la lune, du soleil et des étoiles, c’est-à-dire
le purgatoire, et ensuite l’enfer et le ciel d’Ahura-Mazda.
Dans La Vision d’Isaïe , on
discerne des influences très diverses, hébraïques bien entendu, mais aussi
persanes, chrétiennes et sans aucun doute gnostiques. L’accent est mis sur une
hiérarchie des zones spirituelles correspondant à différents états et
représentées sous l’aspect des sept cieux. Cette théorie des sept cieux remonte
assez loin dans le temps. On la rencontre chez les Babyloniens comme chez les
Juifs, et les Cathares l’ont reprise à leur compte. Mais pour eux comme pour l’auteur
– non cathare – de La Vision d’Isaïe , seuls
les sixième et septième ciels étaient absolument spirituels. Dans les cieux
inférieurs, les Anges n’étaient pas unis à la divinité, ni les uns aux autres, aussi
étroitement. Et, de plus, ils étaient curieusement « polarisés » en
Anges de droite et en Anges de gauche. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un
autre texte cathare, La Cène secrète , prétend
que Satan n’a jamais réussi à séduire les Anges que dans les cieux inférieurs, jusqu’au
cinquième ciel. Le sixième et le septième ciels sont des lieux où la Lumière conserve
et perpétue sa pureté intégrale : « Et les yeux de mon âme furent
ouverts, et je vis une grande gloire, et son éclat fut si éblouissant que je ne
pouvais plus voir ni l’ange qui était avec moi, ni tous les anges que j’avais
aperçus louant mon Seigneur. » C’est dire que la Lumière spirituelle du
septième ciel est d’une nature si exceptionnelle qu’elle élimine toutes les
autres lumières. Il y a certainement la même idée dans la description de la Lumière
qui émane du Saint-Graal faite par Chrétien de Troyes dans son Perceval : cette lumière éclipse la lueur des
cierges, mais également les rayons du soleil.
L’idée à retenir est donc qu’il existe, quelque part, et
symboliquement au plus haut des cieux , un
endroit privilégié où la Lumière est d’une pureté absolue. Alors, il est
possible de considérer le donjon de Montségur, pénétré par le soleil au
solstice d’été, c’est-à-dire par la lumière la plus pure, la plus neuve, la
plus éblouissante, comme une figuration de ce septième ciel.
Le thème se retrouve dans la tradition populaire, et il est
particulièrement exploité dans la mythologie celtique : il s’agit du motif
bien connu du Château dans les Airs , et sous
sa forme la plus archaïque, de la Chambre de Soleil .
Dans un récit breton intitulé la Saga
de Yann [32] , le héros, guidé par un
cheval qui est en réalité un magicien – son propre père – sous forme animale, va
d’aventure en aventure et est amené à conquérir la fille du roi Fortunatus pour
le compte du roi de Bretagne. Il y a d’ailleurs là une équivalence de situation
avec la légende de Tristan, le héros jouant le rôle du neveu allant « gagner »
la fiancée de son oncle. Grâce au magicien, et grâce à l’intervention d’animaux
à qui il a rendu service, il obtient la jeune fille, mais celle-ci, pendant le
voyage du retour, se lamente : « Adieu mon père, adieu gens de mon
pays, adieu mon beau château, toi qui es supporté par quatre chaînes d’or, et
par quatre lions, les plus forts de toute la contrée ! j’étais heureuse
lorsque j’y habitais ! et tes clés d’or, à quoi me serviront-elles
désormais si ce n’est
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