Montségur et l'enigme cathare
me perdre dans un
labyrinthe auquel je n’aurais pas dû avoir accès [11] .
Mais il faisait si bon, ce jour-là, à Rennes-le-Château, que j’en oubliais de
réciter les litanies de la brume. Nous voulions voir l’église : elle était
fermée, et il fallait attendre l’après-midi pour la visiter. Nous déjeunâmes
sous les arbres, tranquillement, paisiblement, ayant pleine conscience de vivre
un instant privilégié. Une impertinente fillette papillonnait entre les tables,
entre les arbres, comme elle papillonnait dans les rues du village. Étrange
fillette : elle s’appelait Morgane. Ces choses-là ne s’inventent pas, et
il me faut avouer que si, depuis mon enfance, je vis dans la familiarité de
Merlin et des fées de Brocéliande, celles-ci ne manquent jamais une occasion de
me rappeler qu’elles sont mes guides dans le monde des réalités obscures.
Nous allâmes ensuite vers l’église. L’église elle-même, le
petit parc qui se trouve au sud du chevet, et le cimetière, forment un étrange
ensemble qui n’est pas sans analogie avec les fameux « enclos paroissiaux »
du Léon, dans le nord-Finistère, la majesté et la beauté en moins. Car ce qui
frappe avant tout, ici, c’est la médiocrité de tout ce qu’on peut voir. Le
portail qui conduit au cimetière, avec un crâne qui rit de ses vingt-deux dents,
a quelque chose de sordide : où est la sobre et sombre majesté des « porches
triomphaux » bretons dont il s’agit ici d’une imitation grossière ? Certes,
il y a des objets curieux : un bassin, un calvaire dont la croix est
située au milieu d’un cercle comme chez les Égyptiens de l’Antiquité, une
fausse grotte, un reposoir des morts qui est encore une imitation de l’art
funéraire breton (le fameux ossuaire), et surtout une statue de la Vierge sur
un socle en réemploi datant de l’époque carolingienne, retaillé, scié et
présenté à l’envers . On se demande bien pourquoi.
On nous dit que tout cela est symbolique. Bien entendu, tout cela est
symbolique, puisqu’on peut constater l’utilisation de symboles appartenant à
différentes traditions. Mais un mélange hétéroclite de symboles ne signifie pas
forcément quelque chose : le syncrétisme est toujours une dégénérescence
qui apparaît lorsqu’on ne connaît plus la valeur exacte des symboles et qu’on s’empare
de ceux-ci pour fabriquer du mystère. Et tant
pis s’il y a une tombe maçonnique dans le cimetière : après tout, celui qui
repose là avait parfaitement le droit de se faire faire un caveau selon ses
convictions personnelles, il n’y a rien d’étonnant à cela.
Dès que je fus entré dans l’église, je fus saisi d’un
malaise intérieur. À première vue, tout cela était malsain, à commencer par
cette hideuse statue du diable Asmodée qui se trouve près de la porte. Ses yeux
exorbités sont tournés vers le bas et fixent le carrelage noir et blanc. Il a
un genou ployé, le gauche bien entendu, et il porte un lourd bénitier. Sa main
droite forme un cercle et tenait autrefois une fourche : voilà une image d’un
diable très conventionnel. Au-dessus, quatre anges exécutent chacun une partie
du signe de la Croix, et sur le socle sont écrits ces mots : par ce signe tu le vaincras , et aussi, dans un petit
cercle, les deux lettres B. S. qui sont les initiales du curé Béranger
Saunière.
Sur le mur du fond, vers le haut, une fresque représente le
Christ sur une montagne fleurie, entouré de nombreux personnages, avec, au bas
de la montagne, une sorte de sac crevé d’où semblent s’échapper des grains de
blé, et dans l’arrière-fond un paysage dans lequel se devinent plusieurs
villages. On en a déduit que cela représente les alentours de Rennes-le-Château
et que les grains de blé sont le symbole du fabuleux « trésor » qui y
est caché. De chaque côté du chœur, des statues de plâtre de la plus pure
tradition saint-sulpicienne d’avant-guerre, représentant Joseph et Marie, portent
chacune un enfant Jésus, ce qui paraît bizarre. On découvre également une
statue et une peinture dont le sujet est Marie-Madeleine, patronne de l’église,
avec, à ses pieds, un crâne humain posé sur un livre ouvert. Quant au chemin de
croix, on s’aperçoit tout de suite qu’il comporte une anomalie : il est en
effet disposé exactement à l’envers de ce qui se fait habituellement dans
toutes les églises. Et parmi les autres statues, laides et sans
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