Montségur et l'enigme cathare
(première
injustice) et tout-puissants, en avaient-ils décidé ainsi ? La tragédie
grecque est un excellent exemple de cette interrogation : comment se
fait-il que les êtres humains, même lorsqu’ils sont remplis de bonne volonté, soient
ainsi écrasés impitoyablement par les dieux ? De plus, ces dieux semblent
même prendre plaisir à faire souffrir les hommes, un peu comme les spectateurs
de l’amphithéâtre à Rome, quand ils applaudissent les condamnés qui s’entre-tuent
ou qui sont dévorés par les lions. Le Jansénisme n’est pas loin, qui prétend
que Dieu peut refuser sa grâce même à des êtres justes, et cela parce que les
desseins de Dieu sont incompréhensibles. Alors, qu’est-ce que le Mal, et
pourquoi les dieux tolèrent-ils l’existence de ce Mal ?
On sait que poser le principe d’un Bien absolu conduit à poser
immédiatement le principe contraire : le principe du Bien, dans notre
pensée logique, ne peut se concevoir sans contrepartie d’un principe du Mal. Tout
le problème est de savoir lequel des deux est soumis à l’autre. À moins que ce
ne soient deux principes égaux. Ainsi est ébauchée une doctrine qu’on peut
qualifier de dualisme et qui, au cours des siècles, empruntera ses arguments
aux différentes traditions mythologiques et aux spéculations religieuses les
plus diverses.
La philosophie s’en est évidemment mêlée. Diverses solutions
ont été proposées, souvent intéressantes, mais la plupart du temps
contradictoires, et de toute façon parfaitement théoriques. La vie religieuse
quotidienne a besoin de certitudes et non pas d’hypothèses, fussent-elles les
plus logiques et les plus satisfaisantes pour l’esprit. Dans certains cas, on
accepte le Mal comme une nécessité et on laisse aux divinités, dont les buts
demeurent incompréhensibles, le soin de résoudre le problème : c’est le
système traditionnel des Grecs avant la philosophie. Et l’on se contente de
constater l’existence du Mal en justifiant cette existence par une punition
infligée aux êtres humains par suite d’une faute commise à l’origine des temps :
l’audace de Prométhée, la boîte de Pandore, l’Arbre de la Science du Bien et du
Mal, la fin de l’Âge d’Or et bien d’autres mythes en sont le résultat.
Mais, à partir du moment où la réflexion philosophique
intervient, il est difficile d’accepter dans n’importe quelles conditions le
concept d’un Dieu dispensateur du Bien et du Mal, et cela d’autant plus que s’ébauche
également le système de logique auquel Aristote, en l’exprimant avec précision,
donnera son nom : en vertu du principe du tiers exclu, le Bien est antinomique
du Mal et vice versa. On se refuse alors à croire que le Mal procède de la
nature divine, du moins directement. Le Mal devient alors une entité distincte
et l’on en arrive à opposer les puissances mauvaises, génératrices du Mal, aux
puissances bonnes qui émanent du vrai Dieu. Il ne s’agit pas à proprement
parler de deux divinités parallèles et également toutes puissantes, mais de
deux principes dont l’origine exacte n’est pas définie. C’est du faux dualisme
dans la mesure où l’on suppose que ces deux principes sont créés par Dieu, qui
est unique. Mais, dans les faits, on finit par croire à l’existence personnalisée
de ces deux entités, donc on en revient à un dualisme authentique. Le peuple ne
fait guère de différence entre une entité et
un être : ce sont là raffinements de
philosophes.
Il arrive cependant un moment où l’explication du monde par
le dualisme n’est plus satisfaisante : on retombe sur le même problème, l’impossibilité
de croire qu’un dieu parfait ait pu tolérer l’existence de l’imparfait. Comment
un dieu bon peut-il, même indirectement, susciter le Mal ? Répondre qu’il
ne l’a pas voulu serait reconnaître que ce dieu n’est donc pas omnipotent, comme
on le prétend. Sa responsabilité ne peut être qu’engagée. On opère alors une
subtile distinction entre le Bien apparent et le Bien réel, et cela va jusqu’à
la fameuse formule : « L’Enfer est pavé de bonnes intentions. »
Et surtout, on se rassure en disant que Dieu, qui est parfait, ne pouvait que
créer un monde imparfait : sinon les êtres humains eussent été eux-mêmes des
dieux, et le Dieu unique ne l’aurait plus été. Cela nous ramène à la
formulation hégélienne d’un dieu absolu qui équivaut au néant
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