Montségur et l'enigme cathare
mystères
cathares », du « frère bien-aimé », de ce « vieux serviteur
de la fraternité précédente ».
C’est dire le rôle joué par Antonin Gadal. Il ne s’est pas
contenté de rêver, il a fait partager ses rêves aux autres, et il a contaminé
un nombre incalculable de naïfs qui, au mépris des relevés archéologiques les
plus objectifs, ont participé à une gigantesque opération de mystification qui
frise la malhonnêteté tout court, et en tout cas une évidente malhonnêteté
intellectuelle.
Sur cette lancée, on s’est mis à voir des Cathares partout. On
a découvert des graffiti cathares dans toutes les grottes et dans tous les
châteaux. On a même découvert le Graal. Christian Bernadac raconte plaisamment
qu’un jour, il avait apporté à Antonin Gadal des fragments de poterie datant du
Bronze final. Gadal lui avait fait tout un discours sur ces « morceaux
précieux qui attestent que les Cathares célébraient leur culte dans cette
enceinte. Ils venaient après avoir franchi la muraille symbolique et sacrée en
procession dans cette nef, dans chaque niche creusée dans les parois une lampe
à huile ou un cierge… » [22] . On s’y croirait… D’ailleurs,
ajoute Bernadac, Gadal « a toujours eu la même attitude : un mépris
parfait pour les textes qui contredisent ses exaltations [23] ».
Ce mépris des textes, Antonin Gadal semble aussi l’avoir
fait partager à ses disciples. Christian Bernadac raconte également une
anecdote rapportée par son propre grand-père, anecdote qui concerne Joseph
Mandement, qui fut président du Syndicat d’initiative de Tarascon-sur-Ariège (dont
dépendait à l’époque Montségur, et qui était le rival du Syndicat d’Ussat), lui
aussi chercheur convaincu de Cathares, mais peu disposé à se laisser aller au
délire. « Un jour, Mandement a pris la main dans le sac, à Sainte-Eulalie,
je crois, un jeune Allemand qui traçait de “fausses gravures authentiquement
cathares”. Ça a mal tourné pour le zigoto. D’un peu, il se retrouvait à l’hôpital
de Sabart. Mandement lui a envoyé un direct dans le nez. Ça ne l’a pas empêché,
rentré chez lui en Allemagne, de publier un livre sur Montségur et les Cathares.
Il s’appelait Otto Rahn [24] . »
C’est dire le sérieux de cet Otto Rahn, dont l’ouvrage a
déclenché tant de vocations de part et d’autre du Rhin. Il faut cependant
rendre à César ce qu’on lui doit : Otto Rahn n’aurait rien écrit sans
Antonin Gadal qui a été son initiateur et son principal informateur. Cela ne
fait d’ailleurs que renforcer la responsabilité de Gadal dans la diffusion de
pseudo-révélations sur le catharisme et le Graal. Christian Bernadac, qui
dénonce pourtant les supercheries d’Antonin Gadal, qu’il a connu dans sa
jeunesse, ne peut se défendre d’une certaine indulgence vis-à-vis de lui, et, pour
l’excuser, il le définit comme un « poète ».
C’est faire injure à tous les poètes. Un poète ne prétend
pas faire autre chose que de la poésie. Gadal a prétendu être archéologue, historien,
philosophe et rénovateur spirituel. Je n’ai jamais connu Antonin Gadal. Par
contre, j’ai lu tout ce qu’il a pu écrire. Il faut d’ailleurs avoir du courage
pour le lire, car son esprit est tellement embrouillé qu’il est nécessaire de s’y
reprendre à deux fois pour suivre le fil de ses bizarreries. Les textes de
Gadal, largement diffusés depuis sa mort par ses fidèles disciples, concernent
tous le catharisme et la présence effective du Graal dans les Pyrénées, le tout
assorti de diverses considérations sur les sectes hérétiques ou simplement
ésotériques dispersées dans le monde.
Ces textes, je les ai étudiés attentivement. Pas une seule ligne n’en est à retenir . Il s’agit d’un
inextricable mélange de stupidités puisées on ne sait même plus où et
présentées n’importe comment, au fil de la plume. Les citations qu’il fait
parfois sont tronquées ou inexactes. Il n’a jamais lu le moindre texte médiéval,
et à plus forte raison le moindre texte celtique. Il ne connaît même pas en
entier le Parzival de Wolfram von Eschenbach, clef
de voûte de l’interprétation pyrénéenne du Graal. Il ne le connaît que par de
vagues fragments cités par d’autres auteurs déjà peu scrupuleux sur l’exactitude
des sources. Gadal aurait quand même pu lire l’excellente traduction du Parzival publiée par Ernest Tonnelat. Mais
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