Morgennes
cité… Il regarda deux valets aider Alexis à passer le bliaut de drap rouge symbolisant le sang qu’il devrait verser – le sien – pour défendre Dieu et Sa Loi. Puis ce fut son tour. Il leva les bras. Et eut l’impression d’étouffer.
« Je ne puis vivre hors de la vérité ! »
Il poussa un cri. On lui demanda :
— Compère, as-tu mal ?
Mais il ne répondit rien. On le regarda avec inquiétude. Les chevaliers de l’Hôpital le dévisageaient sans trop savoir : Morgennes était-il ou non une bonne recrue ? L’Hôpital avait grand besoin de mercenaires pour mener à bien ses basses œuvres, mais était-ce une bonne chose de l’engager, lui ?
Puis ce fut au tour du roi de passer aux pieds nus de Morgennes et d’Alexis d’épaisses chausses noires, en leur disant :
— Leur couleur t-t-terre est là pour vous rappeler vos origines, et vous aider à vous g-g-garder de l’orgueil…
— Qui souille tout ce qu’il approche, murmura comme pour lui-même Morgennes.
Après les chausses, Amaury leur noua autour de la taille une fine ceinture de soie blanche :
— Puisse-t-elle t-t-tenir au loin la luxure…
Puis il leur remit une paire d’éperons en argent :
— Et ceci vous rendre ardents au service de D-d-dieu et du royaume…
Soudain, il étouffa un fou rire. Puis parvint à reprendre son sérieux. La cérémonie se poursuivit donc, s’acheminant vers son point culminant. Amaury, dont le forgeron avait après bien des efforts réussi à redresser l’épée, la leva au-dessus de la tête d’Alexis, et clama :
— Sa lame a d-d-deux tranchants ! Ils suffisent, car ils signifient d-d-droiture et loyauté, afin que jamais vous n’oubliiez de prendre la d-d-défense de la veuve et de l’orphelin…
Il asséna un vigoureux coup sur chacune des épaules d’Alexis, qui manqua s’effondrer tant Amaury avait frappé fort. Si fort en vérité que la lame de son épée s’en trouvait à nouveau toute tordue.
— Puisses-tu garder en mémoire ces coups que je t’ai d-d-donnés, poursuivit Amaury. Et avec eux tes d-d-devoirs. Faire maigre le vendredi, ou, si tu ne le peux pour cause de combat, faire l’aumône aux pauvres. Assister chaque jour à la messe, et y offrir ce que tu peux. Ne jamais refuser ton appui à une damoiselle, ou une dame, en péril. Enfin, ne jamais mentir ni trahir.
— Je l’accepte, dit Alexis.
Amaury lui donna un baiser et déclara :
— Te voici chevalier !
L’assistance retint son souffle. Dans quelques instants elle pourrait laisser éclater sa joie. Amaury se tourna vers Morgennes, qui se tassa sur lui-même, comme Atlas sous le poids du monde.
Puis, au moment où le roi levait son épée, Morgennes se redressa et dit :
— Majesté, je ne mérite pas cet honneur.
39.
« S’il doit se bâtir une réputation dans le métier des armes, c’est sur cette terre qu’il l’obtiendra. »
( CHRÉTIEN DE TROYES ,
Cligès. )
Baudouin IV était encore un enfant, aussi beau, agile et vif que son père était laid, gras et maladroit. Ces qualités, associées à une intelligence et à une mémoire hors du commun, faisaient de lui un parfait héritier du trône. Et il n’y avait pas un noble, pas un prélat, qui ne le saluât d’un grand sourire quand il passait dans les corridors du palais de David, où il semait rires et cris de joie. C’était un peu l’enfant de tous, mais un seul homme avait le droit de l’éduquer. Non pas son père, ni son parrain – Raymond de Tripoli. Mais l’être le plus sage et le plus cultivé de Terre sainte, et qui venait d’être nommé archidiacre de Tyr en récompense de ses services rendus auprès de l’empereur des Grecs : Guillaume, désormais surnommé « de Tyr ».
Guillaume de Tyr, donc, qui pour l’heure allait sur ses quarante ans, était un homme épuisé. Non point à cause de ses études, menées le plus souvent jusqu’au cul des chandelles, ni même à cause de ses nombreux travaux d’écriture, de traduction, de négociation, sa charge d’archidiacre et de premier conseiller du roi, mais à cause de cette petite tête blonde de Baudouin, qu’Amaury lui avait demandé de remplir le plus et le mieux possible : « Afin d’en faire une tête capable de porter la couronne mieux que moi ! »
Baudouin adorait Guillaume. Rien ne lui faisait plus plaisir que de le voir entrer dans sa chambre, quand il venait l’y chercher pour une longue promenade au sommet des remparts.
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