Morgennes
Baudouin.
Tandis que l’enfant regardait Fostat en ouvrant de grands yeux, Morgennes lui passa soudain la main sur la tête, et lui caressa les cheveux.
Ce geste eût pu lui coûter cher, mais Baudouin se retourna vers lui et rit aux éclats. Morgennes rit avec lui, se demandant quelles surprises cette ville – où le roi devait séjourner cette nuit et la nuit d’après – lui réservait.
Déjà, un demi-cercle d’argent se découpait tel un ongle géant à l’orient, sur le ciel parfaitement pur, couleur azur et or. Une étoile s’illumina peu après, arrachant ce soupir à Baudouin :
— Il est temps de redescendre, ou nous allons nous faire tirer les oreilles…
Morgennes s’accroupit, prit l’enfant sur son dos et le ramena au pied de la pyramide, à l’endroit exact d’où ils étaient partis quand le soleil avait amorcé sa descente. Baudouin se jeta dans les bras de Guillaume, et lui raconta tout ce qu’ils avaient vu, sans omettre le moindre détail.
Mais Guillaume calma les ardeurs du prince en lui annonçant :
— Le roi nous attend… Vous venez avec nous ? demanda-t-il à Morgennes.
Morgennes acquiesça, et les suivit.
Amaury se trouvait non loin de Khéops, dans l’ombre d’une gigantesque tête de lion qui émergeait d’une dune. Il avait dû se produire quelque incident d’importance, car il parlait sur un ton saccadé tout en soulevant des gerbes de sable avec ses pieds tant il était énervé.
Surgissant à son côté, Guillaume s’empressa de lui demander ce qui s’était passé, et le roi lui apprit qu’en voulant régler leurs catapultes, ses hommes avaient pris pour cible l’appendice nasal de cette tête de lion et l’avaient brisé.
Quand il leur fut demandé pourquoi ils avaient visé cette tête, les soldats d’Amaury répondirent qu’ils avaient cru bien faire. Ils avaient eu besoin d’un point de repère, et comme Amaury leur avait dit qu’il ne voulait plus voir de femme autour de lui, ils s’étaient dit qu’il valait mieux tirer sur cette tête de lion – qui ressemblait à une lionne – plutôt que sur les pyramides.
— L’Histoire ne nous en tiendra pas rigueur, dit Guillaume. Il faut pardonner à vos hommes, qui n’ont voulu que protéger votre camp. Songez plutôt à tout ce que nous pourrons accomplir, quand dans quelques années Francs et Égyptiens travailleront de concert, main dans la main, pour faire de leurs deux patries enfin réunies le plus beau pays du monde. Il sera bien temps alors de réparer les dégâts causés par vos soldats…
Amaury en avait pourtant plus qu’assez – car il avait décrété, depuis le dernier massacre de Bilbaïs, qu’on ne pillerait plus. Désormais, les Francs auraient une attitude irréprochable, et il ne serait pas dit, jamais, nulle part, qu’ils se comportaient comme des barbares. Mais ses soldats avaient l’air si désolé, et Amaury avait le cœur si bon, qu’il leur pardonna.
— Couvrez-la-moi d’une b-b-bâche, le temps que j’aille voir le calife…
— Comment s’appelle ce monument ? demanda le jeune Baudouin à Guillaume, en lui pressant la main.
— Le Sphinx, répondit Guillaume. On dit qu’il a un corps de lion, mais comment le savoir ? Le sable l’a recouvert depuis tellement d’années…
Le palais califal était une immense construction rectangulaire, dont rien à l’extérieur ne laissait présager la splendeur des entrailles.
Seuls quelques Francs avaient eu le droit d’y accompagner Amaury. Guillaume de Tyr et Baudouin IV étaient de ceux-ci. Comme ils avaient insisté, Morgennes les avait rejoints. Il eut alors la surprise de voir parmi les autres représentants du royaume de Jérusalem deux des êtres qu’il haïssait le plus au monde : Galet le Chauve et Dodin le Sauvage, les deux Templiers avec lesquels il avait eu une violente altercation, au Krak des Chevaliers.
Mais les deux hommes n’avaient pas sa mémoire, et l’avaient oublié. Combien d’années s’était-il écoulé depuis leur précédente rencontre ? À peu près cinq. Cinq longues années durant lesquelles Morgennes était devenu un autre homme, à la peau cuivrée par le soleil, durcie par les épreuves, et dont la tonsure avait disparu. Cinq longues années durant lesquelles ces deux Templiers ne semblaient point avoir changé. L’un portait toujours au côté gauche la miséricorde du père de Morgennes ; l’autre paraissait jouir encore de la gloire que lui avait
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