Morgennes
Continuer vers la cathédrale, ou bien aller vers le Pharos ? Il sentait dans son dos le lourd poids de la dent de dragon qu’il avait volée à Manuel Comnène.
« Par ma foi, si j’avais pu la prendre sur un vrai dragon, je l’aurais fait ! »
Mais il avait cherché en vain, pendant des années. Poucet avait raison. Les dragons n’existaient pas.
N’existaient plus.
Et lui, Morgennes, devait trouver un autre moyen d’être fait chevalier. S’il y tenait toujours – ce dont il était maintenant de moins en moins certain. Les seuls titres que pouvait lui valoir cette dent étaient ceux de voleur et d’escroc. Mais de chevalier, point. La pantoufle de Nur al-Din aurait pu lui valoir cet honneur. Mais un Templier la lui avait prise…
Dans son trouble, cependant, une chose demeurait claire. Ce qu’il voulait, c’était être quelqu’un d’honorable. Alors, comme la croix se couvrait de fumée, il décida de se porter à sa rescousse, sans trop savoir pourquoi – presque par curiosité.
Ses hommes ne comprirent pas ses intentions, mais le suivirent néanmoins, tout en échangeant paroles et interrogations. « Que veut-il ? Où va-t-il ? » La plupart obéirent sans broncher, Morgennes étant plus que leur chef – une excroissance de leur volonté.
La cathédrale Saint-Marc appartenait aux chrétiens de rite copte, établis à Alexandrie depuis les premiers jours de la chrétienté. Quelques siècles plus tôt, ils avaient eu à souffrir du vol de la dépouille de saint Marc – que des marchands vénitiens avaient emportée à Venise, afin d’épargner au saint (ou plutôt à son enveloppe terrestre) qu’un second martyre ne vienne s’ajouter à celui qu’il avait déjà subi quand une foule en délire l’avait lapidé, onze siècles plus tôt.
Au fil du temps, les coptes étaient passés maîtres dans l’art consistant à rester suffisamment près de son dieu pour ne pas l’offenser, et à faire preuve d’assez de retenue et de discrétion dans l’exercice de leur religion pour ne pas s’attirer les foudres de l’occupant musulman. En effet, les Sarrasins ne les voyaient pas d’un bon œil. Mais comme les coptes occupaient des postes importants dans l’administration égyptienne, et que depuis plusieurs siècles rien ne pouvait se faire sans eux, les Fatimides avaient été obligés de composer avec eux.
Une foule bigarrée poussait les hauts cris, attirant l’attention de Morgennes. Musulmans en longs vêtements blancs, ramassant leur tapis après la fin de la prière ; enfants courant dans les ruelles, cherchant à s’entre-attraper ; juifs aux yeux pétillants de malice, à la longue barbe noire et aux cheveux bouclés ; chrétiens volubiles, et dont les mains virevoltaient pour accompagner leurs paroles ; soldats égyptiens au visage chafouin, le teint olivâtre, le glaive à la main. Ils patrouillaient par petits groupes d’une douzaine d’hommes, et s’en prenaient à tout ce qui passait à leur portée. Que voulaient-ils ? S’amuser. Et faire chèrement payer aux habitants d’Alexandrie l’accueil qu’ils avaient offert à Saladin.
Car si les Égyptiens étaient des Sarrasins, ils haïssaient leurs frères de Damas et de Bagdad – avec lesquels ils n’avaient rien à voir. Les Égyptiens étaient d’abord et avant tout des musulmans fatimides, et donc des chiites. Leurs cousins de Damas et de Bagdad étaient sunnites. Ainsi, à l’image des chrétiens de Rome et de Byzance, les deux factions se détestaient – même s’il leur arrivait parfois de s’unir, lorsque les circonstances l’exigeaient.
Les troupes égyptiennes, menées par un étrange personnage monté sur un char, harcelaient un malheureux prêtre copte. Ce dernier, un vieillard recroquevillé sur lui-même pour se protéger des coups, était reconnaissable à sa longue tunique blanche doublée de franges bleues et rouges. Il implorait les Égyptiens de les épargner, lui et sa cathédrale, et appelait à l’aide Dieu et tous ses saints. Sans l’écouter, les Fatimides jetèrent à l’intérieur de la cathédrale plusieurs torches enflammées, en se disant que dans le pire des cas ils raconteraient que l’incendie avait été allumé par les soldats de Saladin.
« Plutôt périr que de laisser l’Égypte entre les mains de Nur al-Din ! » pensa sur son char Chawar, le vizir du Caire.
Quand Morgennes déboula sur la place, ses hommes derrière lui, il vit les coptes tenter
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