Morgennes
Là, Guillaume lui racontait, en latin, grec ou arabe, l’histoire de Jérusalem, dont chaque épisode était le prétexte à une leçon de langue, de religion, de géographie, de botanique, de littérature, d’arithmétique, etc. C’est-à-dire de tout ce en quoi Guillaume était versé – soit d’innombrables matières.
Mais l’heure n’était pas aux leçons, et Baudouin, que son père avait autorisé à venir au Caire maintenant que les armées de Nur al-Din en étaient parties, gambadait comme un fou parmi les vieilles pierres égyptiennes.
Et notamment celles des pyramides.
Aucun monument n’était assez grand pour qu’il renonce à l’escalader, et quand il aperçut, à portée d’arbalète des eaux du Nil, les pyramides qui montaient jusqu’au ciel, il décréta :
— J’escaladerai la plus haute !
Guillaume qui, juché sur un âne, accompagnait le jeune prince dans tous ses déplacements se contenta de sourire. On verrait bien, quand Baudouin serait aux pieds des premières pierres de ces monuments, ce qu’il dirait en constatant qu’elles étaient plus hautes que lui.
Malheureusement, Guillaume dut déchanter. Car en s’approchant de la base de la plus grande des pyramides – celle de Khéops – Baudouin s’exclama :
— Portez-moi !
Autant escalader un pic. Cherchant de l’aide autour de lui, Guillaume avisa l’un des archers du roi, et demanda :
— Vous ! Pourriez-vous nous aider à grimper au sommet de cette pyramide ?
L’homme les regarda d’un air incrédule, puis s’esclaffa sans vergogne. Guillaume parlait-il sérieusement ? Escalader ce monument, avec un jeune enfant, à peine âgé de six ans – c’était de la folie pure ! Et s’il faisait une mauvaise chute, et tuait l’héritier du trône ? Pour sûr, Amaury l’étriperait puis le ferait frire avec des pommes ! De toute façon, c’était impossible :
— Je pourrais bander mon plus bel arc, viser pendant toute une semaine et tirer la meilleure de mes flèches, dit l’archer, je n’en atteindrais pas le sommet. Nous ne sommes pas des singes ! Renoncez, c’est plus sage.
Et il se détourna de Guillaume, pour s’absorber dans la partie de dés qu’il disputait avec trois comparses.
Guillaume ne savait plus à qui demander, et craignait d’avoir à annoncer à Baudouin qu’il leur faudrait remettre cette expédition à plus tard. C’est à cet instant qu’une voix que Guillaume de Tyr devait apprendre à connaître de mieux en mieux leur fit cette proposition :
— Laissez-moi vous aider.
— Vous ! fit Guillaume en découvrant qui l’avait prononcée. Mais…
— Allons, ce n’est pas parce que j’ai refusé d’être adoubé pour un exploit que je n’avais pas accompli qu’il faut me considérer comme un pestiféré.
— Vous avez raison, admit Guillaume.
Et il regarda Morgennes, qui avait préféré l’infamie de la vérité à une gloire usurpée ; infamie que le roi lui avait rapidement pardonnée quand Morgennes lui avait dit qu’il pouvait garder la dent de dragon – qui, elle, était véritable. Alors, Amaury s’était exclamé : « Je te félicite, et je suis certain qu’un jour tes exploits me donneront l’occasion de te faire chevalier ! »
Morgennes s’agenouilla auprès du petit roi, et lui offrit son dos. Aussitôt, Baudouin lui passa les bras autour du cou, noua ses jambes autour de son ventre, et Morgennes se releva – Baudouin IV derrière lui.
— En avant !
À une allure impressionnante, Morgennes entreprit l’escalade de Khéops, choisissant avec soin ses prises, glissant ses pieds dans les anfractuosités creusées dans la pierre, progressant à un tel rythme qu’un singe n’aurait pas mieux fait.
Resté à terre, Guillaume suivait leur ascension en se protégeant du soleil avec la main, tout à la fois confiant en Morgennes et redoutant qu’un accident ne se produise. Les archers, auprès de lui, continuaient à lancer leurs dés sur le sable, comme si de rien n’était. Bientôt, Morgennes et Baudouin ne furent plus qu’une tache au sommet de la pyramide, une tache qui se déplaçait, de-ci, de-là, toujours plus haut.
Puis elle disparut totalement.
Guillaume mit ses mains autour de sa bouche, et appela :
— Baudouin ! Baudouin !
Mais de tout là-haut, le petit roi n’entendait rien.
Il se trouvait sur une plate-forme étroite, où plusieurs pierres étaient couvertes d’inscriptions diverses – comme
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