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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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reçut une superbe pierre d’un beau vert sombre, dont il demanda le nom.
    — C’est une serpentine, lui apprit Chawar.
    — Une « ophite », précisa Guillaume.
    Chawar hocha la tête :
    — Absolument. Vous connaissiez ?
    — Oui, dit Guillaume. Car ces pierres portent le même nom qu’une certaine secte d’adorateurs du serpent établie dans Babylone…
    Chawar ne fit aucun commentaire, eut un sourire énigmatique et décréta :
    — Pardonnez-moi, mais les affaires du califat…
    Et il s’éclipsa, comme un serpent filant se réfugier sous une pierre.
    Guillaume se pencha à l’oreille d’Amaury et lui chuchota quelques paroles, que le roi écouta attentivement. Quand Guillaume eut fini de parler, Amaury regarda de droite et de gauche, cherchant où se trouvait Morgennes, car il avait une mission à lui confier.

40.
    « Par les livres en notre possession, nous connaissons les faits des Anciens et l’histoire du temps jadis. »
    ( CHRÉTIEN DE TROYES ,
Cligès. )
    Plusieurs mois s’étaient écoulés depuis le retour d’Amaury à Jérusalem et l’établissement d’un protectorat franc sur l’Égypte.
    Morgennes, laissé en arrière sur ordre du roi, avait pour mission de « se faire oublier » – une tâche dans laquelle il était passé maître. En l’occurrence, cela consistait à se mêler à la population de manière à tenir Amaury informé de ce qui se tramait au Caire. Car être « Ombre du roi », c’était aussi en être les oreilles et les yeux.
    Officiellement, pourtant, le roi n’avait pas d’ombre. Ni réelle, ni autre.
    Et nul ne devait jamais lui faire remarquer qu’il traînait, comme tout un chacun, un double obscur de sa personne, changeant, mouvant, et qui partout le suivait, quoi qu’il fasse, où qu’il aille. Car en montant sur le trône de Jérusalem, il avait reçu de Dieu l’absolution de ses péchés. Le roi devenait bon par la seule grâce du trône, et nul, jamais, n’y aurait trouvé quoi que ce soit à redire. Pour tous, il était évident que Dieu n’aurait su accepter comme souverain de Sa sainte cité un homme imparfait, pétri de défauts.
    À l’instar de son confrère de Rome – le pape –, le roi était sans tache et réputé infaillible.
    Pourtant, afin sans doute de mieux faire oublier l’ombre qu’ils étaient supposés ne plus avoir auprès d’eux, les rois de Jérusalem prirent très tôt l’habitude de donner à certains hommes d’exception le statut d’Ombre.
    Celui-ci consistait à n’être pas. À disparaître, en emportant avec soi tous les défauts que le roi était censé ne plus avoir. Car si le roi est franc, droit, honnête et vertueux, les Ombres, elles, sont retorses, sournoises, menteuses et vicieuses, et n’hésitent pas à ruser pour atteindre leur but. Le roi est un sujet d’admiration, il est grand, il est bon. Les Ombres, elles, ne sont l’objet de rien – sinon de ragots, de racontars les accusant de tous les maux, et qui les rendent responsables de tout ce qui va de travers.
    Morgennes remplissait son rôle d’Ombre à merveille, usant tour à tour de déguisements pour s’introduire dans des endroits qui lui étaient normalement interdits, graissant les pattes, détournant les informations et épiant les conversations. Grâce à son excellente mémoire, il retenait tout ce qu’il était trop dangereux de consigner par écrit. Chaque semaine, une demi-douzaine de coursiers chargés d’une partie de ce que Morgennes avait appris partaient à dos de chameau pour Jérusalem. Ainsi, le roi restait au courant de tout. Et notamment des exactions dont se rendaient coupables les deux Templiers nommés au Caire pour le représenter. En effet, ces hommes ne se gênaient pas pour entrer dans les mosquées à cheval ou sans se déchausser, pour soulever le voile des femmes ou se servir sans payer dans les boutiques. Agissant en toutes circonstances de telle manière qu’ils attiraient sur eux – et sur les Francs en général – la haine et le ressentiment des Égyptiens, coptes compris.
    Le choix de Galet le Chauve et de Dodin le Sauvage pouvait surprendre. Mais il n’y avait en vérité rien d’étonnant à ce qu’Amaury les eût choisis comme émissaires, quand on savait que ces deux hommes parlaient fort bien l’arabe et étaient habitués à mener les négociations les plus âpres qui fussent. Particulièrement avec cette engeance mahométane mille fois honnie, et qui infestait les montagnes

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