Morgennes
value la pantoufle de Nur al-Din. Deux fieffés menteurs, deux scélérats, deux usurpateurs dont Morgennes se vengerait à sa manière.
Afin de ne pas se faire remarquer, il se fit aussi discret qu’un chat et ne parla pas plus qu’une statue. Mais les lieux qu’ils traversèrent étaient si magnifiques, si stupéfiants de beauté, qu’il aurait pu danser la gigue et jouer de la flûte, cela n’aurait rien changé. En effet, l’intérieur du palais regorgeait de tant de richesses que les Francs en eurent le tournis. Était-il possible qu’il y eût au monde pareilles splendeurs ? Ou bien avaient-ils, en entrant dans ce palais, franchi le seuil d’une autre terre ?
Des gardes à la peau noire, surchargés d’armes et en armure d’apparat, s’agenouillaient sur leur passage. Chawar, enfin, était personnellement venu les accueillir à l’entrée du palais, et s’amusait à jouer les guides. En l’apercevant, Morgennes pâlit – car il s’agissait de l’infâme personnage qui depuis son char s’en était pris aux coptes à Alexandrie. L’homme qu’il aurait tué si Alexis de Beaujeu n’était intervenu à temps pour l’en empêcher. Cependant, Chawar ne parut pas le reconnaître – ou, s’il l’avait reconnu, n’en montra rien.
Afin d’impressionner les Francs, le vizir les fit passer par de très nombreux couloirs, ornés de tentures d’or et de soie, puis par des cours à ciel ouvert où des fontaines coulaient au milieu de jardins luxuriants. Guillaume de Tyr devait laisser au sujet de cette visite quelques pages, fort connues, dont voici un extrait : « Ce que l’Égypte avait de plus stupéfiant, de plus mystérieux, de plus secret, nous fut révélé. On y trouvait des bassins de marbre remplis de l’eau la plus limpide qui soit, ainsi qu’une multitude d’oiseaux inconnus dans notre monde. Ces oiseaux, aux formes inouïes et aux couleurs étranges, aux gazouillis aussi divers qu’exceptionnels, offraient un spectacle ô combien prodigieux pour nous, pauvres Francs […]. Il y avait pour se promener des galeries aux colonnes de marbre, lambrissées d’or, incrustées de sculptures ; les pavés étaient de diverses matières et tout le pourtour de ces galeries était vraiment digne de la majesté royale […]. S’avançant encore plus loin sous la conduite du chef des eunuques, [nous trouvâmes] d’autres bâtiments, encore plus élégants que les précédents […]. Il y avait là une étonnante variété de quadrupèdes, telle que la main des peintres peut se plaire à la représenter, que la poésie pourrait la décrire, ou que l’imagination d’un homme endormi pourrait l’inventer dans ses rêves nocturnes, telle enfin qu’on la trouve réellement dans les pays de l’Orient et du Midi, tandis que l’Occident n’a jamais rien vu de pareil. »
Tout cela n’avait qu’un seul but : amadouer les Francs, les subjuguer. Les soumettre à la très haute autorité de l’Égypte, afin d’amener Amaury à se reconnaître, d’instinct, comme le vassal plutôt que le suzerain. Mais Amaury n’était pas homme à se laisser impressionner.
Au cours de leurs déambulations parmi ces salles, jardins et couloirs, il affectait un air blasé – comme si ces splendeurs lui étaient familières et qu’à Jérusalem il se lavait les pieds dans une bassine d’or sertie de pierres précieuses. Alors, il regardait son fils – qui, en vérité, était à ses yeux mille fois plus beau que le palais du calife. Et c’est ainsi qu’il remarqua Morgennes.
Il marchait très exactement dans l’ombre de Baudouin, comme s’il avait voulu le protéger. Lui servir de garde du corps. C’est à cet instant, prétend Guillaume de Tyr, que le roi décida d’engager Morgennes comme espion, après en avoir eu l’idée une première fois lorsqu’il avait refusé d’être adoubé.
C’était un homme droit, sur qui un roi pouvait compter.
Cette décision, qui devait faire de Morgennes l’un de ces hommes appelés « Ombre du roi », fut l’une des plus sages qu’Amaury prit jamais. Et il s’en félicita intérieurement, tout en faisant part de son choix à Guillaume de Tyr, qui l’écouta avec attention tout en hochant la tête.
La réception commença par la présentation des Francs à Son Excellence le calife d’Égypte, al-Adid. Celui-ci était un adolescent décharné, aux traits émaciés, à la tête rasée et dont les amples vêtements rehaussaient la maigreur de
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