Morgennes
Azyme ?
— Non, répondit Guyane, regardez mieux, Morgennes, et dites-moi ce que vous voyez…
Morgennes plongea son regard dans celui de la Vierge, et eut la troublante sensation d’être observé à son tour. Quand il se déplaçait dans le jardin, la Vierge ne le quittait pas des yeux. Était-ce une illusion d’optique ? Un tour de magie ?
— Quel est ce prodige ? Son regard me suit partout où je vais…
— Partout où vous allez, oui. Et partout où vous irez… Car ce portrait représente la Vierge, mais s’il est si particulier, et s’il a été placé là pour veiller sur moi, c’est parce qu’il a été peint par un enfant lui aussi entre deux religions.
— Un enfant entre deux religions ?
— Jésus.
Morgennes en resta bouche bée.
— Mais ce n’est qu’une légende, poursuivit Guyane en s’amusant de son désarroi. Elle a été transmise de génération en génération, chez les ophites comme chez les coptes – si j’ai bien compris. Cette icône n’est pas de facture humaine, mais divine.
— C’est incroyable, dit Morgennes. Puis-je la toucher ?
— Si vous voulez. Ensuite, j’aimerais vous montrer autre chose…
— Quoi donc ?
— Le puits au fond duquel est Dieu.
48.
« Tue ! Tue ! »
( CHRÉTIEN DE TROYES ,
Philomena. )
— Assez ! cria Amaury. Arrêtez !
Lance brandie en avant, il dévala à cheval les principales rues de Bilbaïs que l’armée franque était en train de saccager. Mais hélas, ce qu’Amaury avait réussi à obtenir quelques mois auparavant à Alexandrie, il ne l’obtint pas à Bilbaïs. Et la ville fut pillée, pour la quatrième fois depuis le début de son règne.
Passelande, son destrier, avançait au milieu des cadavres – d’hommes, de femmes ou d’enfants, on ne savait plus guère. Les âges et les sexes avaient été effacés à grands coups d’épée, et même la chair des animaux se mélangeait à celle des humains. L’air dégorgeait une puanteur infernale, si entêtante qu’Amaury se pencha sur sa selle pour vomir.
« Mon Dieu, qu’avons-nous fait ! Est-ce moi qui ai autorisé cela ? Je ne l’ai, du moins, p-p-pas interdit avec assez d’autorité… »
— Majesté…
Amaury ne se retourna pas, mais leva la main gauche. « Qu’on me laisse t-t-tranquille. » Ce que Guillaume de Tyr avait à lui dire, il n’avait nulle envie de l’entendre. Pas maintenant.
Guillaume de Tyr, quant à lui, oscillait entre colère et tristesse, ne sachant s’il était plus approprié de laisser exploser sa haine ou de fondre en sanglots. Il ne fit ni l’un ni l’autre, mais ne put s’empêcher de penser : « Nul n’est besoin d’être devin pour lire dans ces entrailles la fin des rêves d’Amaury… »
Cette victoire n’en était pas une.
Pis, c’était une effroyable défaite, car elle venait de monter contre eux les rares Égyptiens encore alliés des Francs.
— Qui l’a voulu ? se demandait Guillaume. Qui a permis cela ? Est-ce Dieu ? Allah ?
Il fut pris d’un étourdissement, et porta la main à son front « Allah… » Que disait-il ? Était-il fou ? Sûrement, il devait être en train de divaguer, car autrement jamais le nom de ce faux dieu ne lui serait venu à l’esprit. Se sentant la bouche crasseuse – elle venait de prononcer le nom de ce démon –, il cracha sur le sol ; et sa glaire tomba sur un essaim de mouches, qu’elle dispersa.
Trois jours plus tôt, l’armée franque et les Hospitaliers s’étaient présentés sous les murs de Bilbaïs, afin d’en négocier la reddition. Amaury avait espéré qu’en échange de quelques pièces d’or, ou de la vague promesse d’un fief qui restait à inventer (n’avait-il pas déjà accordé à ses vassaux, alliés et suzerains, plus de terres que l’Égypte n’en comportait ?), Amaury, donc, avait espéré que la cité se soumettrait sans difficulté.
Mais, à la surprise des Francs, lorsque Amaury avait réclamé au jeune gouverneur de Bilbaïs un endroit où camper, celui-ci avait répondu : « Tu n’auras qu’à camper sur la pointe de nos lances. Crois-tu donc que cette ville soit un fromage à croquer ? »
Métaphore culinaire à laquelle Amaury s’était aussitôt rallié, en rétorquant : « Un fromage, oui. Dont Le Caire est la crème… »
Quelques heures après, le siège commençait, et trois jours plus tard – c’est-à-dire en ce 4 novembre 1168 de sinistre mémoire – Bilbaïs,
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