Morgennes
dernier s’était fait distancer.
— Dodin ! Morgennes !
Morgennes ralentit le pas. C’était la voix de Galet le Chauve. Où était-il passé ?
— Dodin ! Morgennes !
Morgennes se tourna vers Dodin le Sauvage, qui courait à côté de lui :
— Dis à Azyme de fuir. Je vais chercher Galet.
— Mais…
— Ne discute pas. C’est un ordre.
Morgennes avait l’air si déterminé, que Dodin détala vers le monastère Saint-Georges, où attendait le chef des insurgés. Là, trouvant Azyme, il lui dit :
— Tout est perdu ! Il faut partir !
Gardant son sang-froid, Azyme décréta :
— Pas sans Morgennes et Galet.
— Mais c’est Morgennes lui-même…
— Partez si voulez, mais moi j’attends Morgennes.
Un craquement attira leur attention. Dans l’embrasure de la porte, une forme s’était dessinée. Pâle, vêtue de blanc comme un fantôme, c’était Guyane. Voyant les visages effarés des deux hommes, elle demanda :
— Morgennes est en danger ?
*
— Par ici ! cria Galet le Chauve. Morgennes, à moi !
Le vieux Templier se trouvait sous un mur effondré. Le feu était si proche que ses vêtements commençaient à roussir. Morgennes courut vers lui, et fut traversé par une vision. Celle d’un enfant franchissant un fleuve pris en glace. L’heure des explications était-elle arrivée ? Le temps de la revanche ?
— Morgennes, sauve-moi !
Morgennes regarda Galet, et se sentit tout à coup incapable de l’aider.
— Je ne peux pas…
— Aide-moi !
Morgennes eut une nouvelle vision. Celle d’un Galet encore jeune, et qui chargeait son père et sa sœur, lance en avant.
— Pourquoi ? demanda Morgennes à Galet en le voyant haleter.
— Pourquoi quoi ? souffla le vieil homme.
— Pourquoi as-tu tué ma sœur et mes parents ?
— Mais de quoi parles-tu ? Tu es fou ! Sauve-moi ! Tu ne vois pas que mes braies sont en train de flamber ? J’ai les jambes en feu ! Pitié, pitié !
Morgennes s’agenouilla auprès du vieux Templier et regarda de droite et de gauche. Autour d’eux, les flammes étaient si hautes qu’elles formaient comme de nouveaux murs, incandescents.
— Pourquoi serait-ce à moi de te sauver ? demanda Morgennes en baissant la tête. Ce n’est pas moi qui t’ai placé sous ce mur. C’est lui. Pourquoi ne lui demandes-tu pas de t’aider ?
— Lui ? Mais qui ?
— Ton Dieu.
— Mais de quoi parles-tu ? sanglota Galet le Chauve, les joues trempées de larmes. Ne sommes-nous pas amis ?
— Je ne sais pas, dit Morgennes en avançant la main vers la jambe de Galet, où des flammes couraient.
— Et moi qui le croyais !
Morgennes ne dit rien. Il ouvrait et fermait la main au-dessus des petites flammes sans paraître en souffrir, laissant passer entre ses doigts quatre flammèches qui ressemblaient aux quatre petites langues d’une hydre miniature.
— Quel est ce sortilège ? éructa Galet.
Il comprit alors qu’il était condamné, et cracha :
— J’avais vu juste, au Krak des Chevaliers ! Tu es le fils du Diable ? Avoue-le !
— Si pour toi le Diable est un homme paisible, qui se donne à son travail, à sa femme et à ses deux enfants, alors oui, le Diable est mon père. Et tu peux te réjouir, car c’est toi qui l’as tué, toi et quatre autres cavaliers.
— Mais de quoi parles-tu ? Je croyais que tu m’en voulais à cause de la pantoufle de Nur al-Din ! Prends-la ! Elle est à toi ! Je te la donne !
— Tu ne comprends donc pas ?
— Non ! éructa Galet, à l’agonie.
— Te souviens-tu de cinq chevaliers qui s’en prirent, autrefois, à une malheureuse femme vivant à l’écart du monde avec son forgeron de mari, sa fille et son garçon ?
— C’était donc toi ?
— C’était nous.
— Alors, je vais mourir. Car oui, j’ai péché. Mais je te demande de me pardonner, Morgennes. Car ce que j’ai fait, je l’ai fait pour Dieu.
— Qui te le rend bien.
— J’étais jeune, Morgennes ! Je croyais faire le bien. Châtier un traître qui avait eu l’audace de renier sa foi pour s’accoupler avec une chienne juive !
Il y eut un craquement plus assourdissant que les autres. Des pierres s’abattirent sur le sol. Une pluie de poix s’attacha aux vêtements de Morgennes et de Galet, grésillant sur les casques, les hauberts, trouant la chair de Galet, mais laissant celle de Morgennes à peu près indemne.
— Pardonne-moi.
— Je ne peux pas,
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