Morgennes
s’approcha de Guyane, qui se laissa embrasser.
« Tout recommence », se dit-il en s’allongeant auprès d’elle.
54.
« Celui qui demande et implore la pitié doit obtenir grâce à l’instant même, à condition toutefois qu’il n’ait pas affaire à un homme sans cœur. »
( CHRÉTIEN DE TROYES ,
Yvain ou le Chevalier au Lion. )
Les insurgés, qui avaient espéré que la mort de Chirkouh déstabiliserait l’Égypte, déchantèrent rapidement. Trois jours après le décès du vieux « Lion », le calife al-Adid désigna un nouveau vizir : Saladin. Pourquoi une telle nomination, alors que l’armée de Chirkouh comptait moult autres dignitaires, tous plus aptes à commander que le neveu du général en chef de Nur al-Din ? Eh bien justement parce que de tous ces prétendants Saladin était le moins apte. Comme il arrive souvent dans ce genre de circonstance, ce ne sont pas les meilleurs qui prévalent, mais les plus inoffensifs – ceux qui représentent le moins de danger pour le pouvoir établi.
Ainsi, Saladin avait dû sa place de vizir à son apparente incompétence, et au fait que le calife s’était imaginé qu’il n’aurait aucune difficulté à le manipuler. C’était lourdement se tromper. Car heureusement pour l’Islam, la véritable personnalité de Saladin s’épanouit à merveille, comme si l’une des plus belles graines déposées par Allah sur la terre avait trouvé dans la fange égyptienne le plus fertile des terreaux. S’appuyant sur sa famille, les Ayyubides, Saladin consolida sa position en achetant ceux qui étaient à vendre et en passant les autres par le fil de l’épée. Une fois en poste, il renonça aux fastes du palais viziral et prit bien garde de ne montrer que dédain pour le luxe et les richesses. Comme Amaury, il ne recherchait pas l’argent pour l’argent, mais pour faire des conquêtes et asseoir son autorité. Ainsi qu’il aimait à le dire : « Qui se place au-dessus de l’argent se place au-dessus des hommes ! »
Enfin, il s’aida de la religion.
Quelques mois après la mort de Chirkouh, Saladin réserva l’usage des chevaux aux seuls musulmans, les autres se voyant obligés de monter sur des ânes ou d’aller à pied. Un nouvel édit contraignit les chrétiens et les juifs à porter des signes distinctifs : ceinture jaune pour les juifs, blanche pour les coptes et bleue pour les ophites.
Il était grand temps de passer à la seconde partie du plan d’Amaury : organiser un important soulèvement populaire. Grâce à des complices au sein du palais califal, les rebelles reçurent l’assurance qu’ils pourraient compter sur le soutien inconditionnel du calife al-Adid, qui ne savait plus à quel saint se vouer tant il sentait la situation lui échapper. Chawar n’étant plus là pour le conseiller, Saladin se révélant un bien meilleur politicien que prévu – surtout moins malléable qu’attendu –, al-Adid avait décidé de tenter le tout pour le tout et de s’appuyer sur ceux qui depuis toujours constituaient la sauvegarde de l’Égypte : les coptes et la garde noire.
Morgennes et Azyme avaient choisi comme date du soulèvement les tout premiers jours du printemps, au mois de mai. À cette période, la crue pousserait les eaux du Nil jusqu’aux murs des nombreuses bâtisses établies sur ses rives, ce qui gênerait les mouvements des sunnites, moins habitués que les Égyptiens à manœuvrer en terrain inondé. Par ailleurs, l’intention des rebelles était d’associer les bienfaits liés à la prochaine décrue du Nil à la réussite de leur opération. Aux sunnites, les rues endeuillées de noir et l’hiver ; aux Égyptiens, le printemps et la résurrection de leur patrie – quand bien même serait-elle de nouveau entre les mains des Francs. Dans les jardins, l’herbe reverdirait ; dans les arbres, les oiseaux reviendraient ; et partout la douce odeur du limon chasserait la pestilence damascène.
Amaury avait mis en garde les rebelles : « Le succès tactique ne garantit rien. Évitez de faire usage de vos armes. Et surtout, agissons de façon solidaire. »
Tout était prêt. Il ne restait plus qu’à informer le roi du jour précis de la révolte ; jour où les Francs devraient accourir au Caire. Car sans le soutien de leur cavalerie, les rebelles ne tiendraient pas longtemps face aux troupes de Saladin.
Malheureusement, alors qu’un messager déguisé en mendiant quittait Le Caire pour Jérusalem,
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