Morgennes
scène les légendaires débuts de l’Hôpital.
— C’est curieux comme le théâtre, les mystères, l’écriture, font passer le temps rapidement, dis-je un jour à Morgennes.
— C’est vrai, me répondit-il. Mais ce n’est pas ainsi que je vais devenir chevalier et remonter la trace de ceux qui m’ont fait tant de mal. Ici, où que j’aille, on ne cesse de m’appeler « Chevalier à la Poule ».
— Cela passera.
— Peut-être, mais quand ? Et puis, j’ai aussi besoin d’un maître. Quelqu’un qui serait en matière d’armes ce que tu as été pour moi en matière de religion…
De temps à autre, Morgennes pensait à Alexis de Beaujeu – l’écuyer qui lui avait sauvé la vie au cours de son combat contre Sagremor l’insoumis. Qu’était-il devenu ? Avait-il retrouvé un chevalier au service duquel se placer ? Avait-il lui-même été fait chevalier ? Mais Alexis était parti en Égypte avec un puissant contingent de l’Hôpital, et il ne l’avait pas revu depuis.
Quant à la croix, dont Morgennes avait espéré s’approcher, elle restait sous étroite surveillance – ses gardiens se relayant pour être en permanence à côté d’elle. Ni moi ni Morgennes n’avions eu le droit de la toucher, et c’est à peine si nous avions pu la voir – au grand désespoir de Morgennes qui avait espéré trouver là la réponse à cette question :
— Que voulait dire mon père quand il m’a dit d’aller vers la croix ?
Mais je n’avais, pas plus que le Saint Bois, d’explication à lui donner.
Un samedi soir, peu après la messe, des pas résonnèrent dans la grande galerie qui menait de la commanderie à la domus infirmorum de l’Hôpital. Ces pas étaient ceux d’un homme dans la force de l’âge, et étaient rythmés par le bruit d’un bois frappant le sol à intervalles réguliers.
Comme il regardait dans sa direction, Morgennes vit venir vers lui celui que tous à Jérusalem respectaient et tenaient pour le plus érudit et le plus sage du pays, celui qui m’avait déjà permis d’accéder à la bibliothèque du palais de Jérusalem : Guillaume, le chanoine d’Acre.
— Le roi, dit-il à Morgennes, a bien compris pourquoi vous ne l’avez finalement pas suivi… Il pense que vous avez bien fait.
— J’avais à faire ici, dit Morgennes.
— Et vos amis ?
— Ils étaient libres de partir.
— Libres ? Vraiment ?
— Pourquoi ? Vous ne croyez pas en la liberté ?
— Si, j’y crois, dit Guillaume. Pourquoi n’y croirais-je pas ? Dieu nous a créés libres. C’est l’homme qui s’enferme et ne veut pas de la liberté.
— Pourquoi, à votre avis ?
— Certaines prisons sont confortables…
— Et vous ?
— Oh, moi… Je m’efforce d’aider les enfants à devenir des hommes libres… Ce n’est pas toujours facile. Cela suppose, voyez-vous, un certain goût pour la vérité… D’où mon ennui quand je vous vois débiter ces imbécillités, que tous les ordres, fussent-ils celui des Templiers ou des Hospitaliers, aiment colporter à leur sujet. Mais j’imagine que c’est pour des questions d’argent, tant l’on a plus de facilité à donner à Dieu qu’aux hommes – car dans le premier cas c’est un investissement, quand c’est, dans le second, une perte sèche…
— De quoi me parlez-vous ?
— Des dons, que les ordres reçoivent, et qui sont nécessaires à leur survie. Savez-vous combien coûte l’équipement d’un chevalier, vous qui rêvez tant d’être adoubé ?
— Non.
— Comptez les revenus annuels de tout un bourg. Quand on sait qu’il faut à peu près cent heures de travail à un forgeron pour fabriquer une cotte de mailles, et plus du double pour une épée, cela vous donne une idée. Sachez qu’il y a des villages si pauvres qu’ils n’ont même pas de quoi s’offrir une dague…
Morgennes se demandait pourquoi Guillaume lui disait tout ça. À vrai dire, il se sentait vaguement coupable, mais ne savait de quoi.
— Aussi, quand je vous vois conter ces fariboles…, poursuivit Guillaume.
— Fariboles ?
— Au sujet des origines de l’Hôpital. Non, il n’a pas vu le jour au temps de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Au contraire, et c’est tout à son honneur. Cet ordre a eu des débuts on ne peut plus modestes. D’abord un couvent, puis deux… Une infirmerie pour y soigner les pèlerins – de quelque religion qu’ils fussent – et puis, enfin, et seulement depuis peu, de
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