Morgennes
demandai-je.
— D’ordinaire, nous ne la cédons pas à moins de six cents besants. Mais pour vous, messeigneurs, comme je vois à votre tonsure que vous êtes, en quelque sorte, de la famille, je suis près à descendre au saint chiffre de quatre cent quatre besants, qui est comme vous savez le nombre de versets que compte l’Apocalypse…
— « D’ordinaire » ? s’étonna Morgennes.
Le jeune homme fit mine de n’avoir rien entendu, et Morgennes n’insista pas. De toute façon, nous n’avions pas un sou vaillant. Nous étions juste venus en curieux, admirer ce que cette étrange boutique réputée dans le monde entier avait à offrir.
— En vérité, nous ne sommes pas venus pour acheter, mais pour vendre, avouai-je.
— Merci, mais nous avons déjà tout ce dont nous avons besoin, dit Olivier en refermant sa cassette.
— Peut-être… Cependant, si par miracle un objet particulièrement intéressant tombait en notre possession…
— Il faudrait voir ça avec le docteur Massada. Je ne suis pas habilité à vous répondre…
— Et cette armure ? demanda Morgennes, nous l’échangeriez-vous contre une de vos marchandises ?
Il montra au jeune homme l’armure rouge du Chevalier Vermeil, dont il n’avait pas l’usage.
— Nous ne sommes pas une forge, ni une armurerie… Vous devriez aller vous renseigner auprès des garnisons de la Fève ou du Krak… Peut-être vous la rachèteront-ils ?
Nous mîmes fin à l’entretien en remerciant pour le thé et en promettant de revenir une fois plus en fonds.
— Qu’avais-tu l’intention de lui vendre ? me demanda Morgennes, quand nous nous fûmes éloignés de quelques pas en direction de l’écurie où attendait Iblis – notre étalon, qui autrefois appartenait au Chevalier Vermeil.
— Ceci, fis-je en sortant de ma poche la fiole rouge sang que le comte de Flandre avait souhaité nous donner pour prix de nos services.
— Tu la lui as prise ?
— C’est Nicéphore qui me l’a remise, en me disant que le comte souhaitait nous l’offrir de toute façon, et que… Bref, c’est un dédommagement. Je ne voulais pas forcément la lui vendre, seulement avoir une idée du prix.
— Maintenant, tu le sais.
— Absolument !
Ce disant, j’ouvris le flacon et en versai le contenu sur le sol de l’écurie, non loin d’un âne mangé par les ans.
— Regarde cet âne, dit Morgennes. Il a l’air si vieux que je ne serais pas étonné d’apprendre qu’il se trouvait dans l’étable où le Christ est né. C’est à se demander comment il fait pour tenir debout !
— En tout cas, c’est un âne de goût !
Effectivement, l’âne s’était approché de la petite flaque formée par le liquide de la fiole, qu’il lapa à grands coups de langue avide.
— Sacrée bestiole, va ! fit Morgennes en lui caressant la tête entre les oreilles. J’aimerais bien savoir ce que tu raconterais, si Gargano était là pour traduire tes paroles !
L’âne lui jeta une sorte de regard vide, qui chez un animal de son âge pouvait passer pour de la reconnaissance, puis poursuivit son repas, et ingéra l’intégralité du liquide contenu dans la fiole.
— J’espère que ça ne va pas lui faire de mal, dit Morgennes.
— Ça ne le tuera pas, ne t’inquiète pas !
Nous suivîmes la route indiquée par Olivier, d’abord vers l’est, en direction du mont Thabor, « où s’était produite la Transfiguration du Christ », puis de nouveau vers le nord, « où saint Jean le Baptiste avait annoncé Sa venue ».
— Et par ici, demanda Morgennes, quelle sorte de miracle s’est-il produit ?
— Pourquoi cette question ?
— Parce que j’ai l’impression que chaque pouce de Terre sainte a son propre petit miracle particulier. C’est pratique, on ne peut pas se perdre !
— Les miracles permettent de trouver les saints, pas sa route !
— Comment se fait-il qu’il y en ait autant ?
Je développai alors une théorie selon laquelle cette terre, à la façon des fleuves en crue qu’un trop-plein d’eau fait déborder, était si gorgée de divin que Dieu en jaillissait par tous les pores – sous la forme de miracles.
— Des plus petits aux plus grands, précisai-je. En Terre sainte, les miracles ne s’opposent pas à l’ordre naturel. Ils sont le naturel. Un point c’est tout.
Ce « c’est tout » résonna longtemps dans la tête de Morgennes, qui menait sa monture vers le nord-est, là où
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