Morgennes
Georges !
L’effet de surprise était passé. Ce serait bientôt fini…
Restait à savoir pour qui.
Deux musulmans s’approchèrent, lance en avant. Iblis se cabra pour donner de grands coups de sabot. Il y eut un bruit de fruits trop mûrs éclatés, puis les soldats s’effondrèrent, de la cervelle suintant hors de leur crâne.
Changer de plan !
Réfléchissant à toute allure, Morgennes se dit qu’il lui fallait désormais fuir ou foncer, et choisit cette dernière option. Piquant des deux, il mena Iblis vers le centre du camp, c’est-à-dire vers son chef. Là où d’autres auraient prié ou décampé, Morgennes attaquait de plus belle. Sa prière était son galop, et il remettait son sort entre les mains de Dieu.
Faisant fi des flèches qui volaient au-dessus de lui, Morgennes frappait à droite, à gauche, se penchait sur Iblis pour le laisser donner une ruade, rasait la terre pour d’un grand coup d’épée libérer de leurs entraves chevaux et chameaux, faisait des moulinets avec le bras, donnait des coups de pied, effrayait l’adversaire en riant aux éclats.
— Cet homme est fou ! criaient les Sarrasins.
— Non, ce n’est pas un homme, c’est Sheïtan !
— Il est venu pour nous punir !
— Fuyez ! Fuyez !
C’était si facile que c’en était presque drôle. Rien ne pouvait l’atteindre !
C’est alors qu’il aperçut dans le ciel un éclat, une lueur. Levant un bref instant les yeux, il découvrit une étoile. Elle brillait en plein jour, à la hauteur du Krak des Chevaliers, et jetait des éclats de lumière réguliers. Lumière. Pas de lumière. Lumière. Lumière. Pas de lumière. Lumière, etc.
Qu’était-ce ? Un code ? Un signal envoyé par Dieu ?
Lumière, lumière, lumière.
Ce que c’était ? Morgennes l’ignorait, mais les puissants châteaux de la région – ceux de l’Hôpital (comme le Krak) ou ceux des Templiers (comme Chastel Blanc et Chastel Rouge) – avaient uni leurs forces, et ce faisant s’étaient dotés d’un ingénieux jeu de miroirs, à l’aide desquels ils s’envoyaient des messages.
Ainsi, prévenus de l’arrivée de Nur al-Din par les guetteurs du Krak dès le début de la matinée, les troupes réunies de Chastel Rouge et de Chastel Blanc, opportunément grossies par des renforts arrivés de Constantinople, mais aussi par des chevaliers francs de retour d’un pèlerinage à Jérusalem, s’étaient portées sans plus attendre au secours des Hospitaliers.
Plusieurs dizaines de cavaliers, suivis par des centaines de fantassins, s’élançaient à l’assaut du camp de Nur al-Din. Et ceux du Krak les encourageaient :
— Attaquez ! Attaquez !
Au lieu de venir du midi, comme Morgennes, ils arrivèrent par le nord-ouest, dévalant les flancs du Djebel Ansaryia dans une avalanche de poussière. Une longue colonne de cavaliers, alignés deux par deux, avait mis à profit le masque inébranlable du Krak des Chevaliers pour avancer à couvert.
Morgennes vit les blancs étendards à croix rouge et les noirs à croix blanche surgir brusquement de l’épaulement de la montagne, et fondre sur les Sarrasins.
— Les renforts, enfin !
Il avait réussi !
C’est alors qu’un coup de sabre le ramena à la réalité. Un soldat damascène venait de le lui planter dans le ventre, et une douleur fulgurante lui traversa le corps.
Il aurait dû mourir, vider les étriers et tomber à terre. Mais il ne mourut pas. Au contraire, il trouva la force de lever son épée et de l’abattre sur le crâne du soldat, qu’il fendit en deux. Voyant cela, les autres musulmans, qui s’étaient approchés dans l’espoir de l’achever, prirent la fuite, terrorisés.
Serrant les dents, Morgennes éperonna Iblis et s’élança en direction de la grande tente blanche surmontée d’un croissant d’or qu’il croyait être celle de Nur al-Din.
Ce dernier, d’abord averti par les légères secousses du sol qui avaient fait trembler son thé, puis par les hurlements qu’il entendait dehors, se doutait bien qu’une catastrophe était en train de se produire. Jusqu’à présent, son plan s’était déroulé à merveille – mais voici que l’imprévu surgissait sous la forme d’un chevalier ne portant pas d’armure, monté sur un cheval blanc, et qui criait partout « Saint Georges ! Saint Georges et le dragon ! En avant ! »
Il semait la panique parmi les troupes de Nur al-Din, dispersant ses montures, ses animaux de bât,
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