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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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davantage de questions. De toute façon, je ne me souciais pas de moi, mais de mon héros. Morgennes. Si je mourais, c’était tant pis… La mort, justement, n’avait jamais paru aussi proche qu’en cet instant. Car si j’avais été soucieux au départ de Constantinople, inquiet lors de notre arrivée au Pied du mont Agridagi, et sur mes gardes tout le long de son ascension, maintenant que nous en avions pratiquement atteint le sommet, j’étais tout simplement…
    Je ne pus achever ma pensée. Un flot de bile me sortit de la bouche, souillant la neige de glaires jaunâtres et m’arrachant cet aveu :
    — J’ai honte.
    Je m’essuyai la bouche d’un revers de main, semant sur la manche de ma veste fourrée un fin sillon d’humeurs malodorantes, parmi lesquelles Morgennes repéra des taches d’un rouge inquiétant.
    — Tu es malade ?
    À son tour, il déposa le fardeau qu’il portait, à savoir un sac de voyage, une petite tente pour deux, un chaudron, une bassine, un tamis, une louche, deux hanaps, trois fiasques de vin, une cuillère, et la cage à barreaux de fer où se trouvait Galline. Fouillant dans son barda, il trouva une gourde contenant de l’eau, dont il se servit pour m’essuyer le visage, puis un linge de coton, avec lequel il le sécha.
    — Je suis à bout de forces, murmurai-je. J’ai l’impression de délirer…
    Morgennes était inquiet :
    — Tu as les traits d’une blancheur de craie…
    Il avait raison. Juste avant notre départ, j’avais vu le reflet de mon visage dans un plat en étain. Il avait çà et là des zones d’ombre si profondes qu’elles en devenaient irréelles, et où devait s’être réfugiée la curieuse teinte jaune cireux dont se parait depuis quelque temps ma figure. Dans sa grande naïveté, Morgennes avait attribué cette teinte à la quantité proprement impressionnante d’œufs que j’avais ingurgités, autrefois.
    — Dis-moi que je rêve…
    — Nous pouvons continuer, me dit simplement Morgennes en posant les mains sur son bâton de marche. Ou rebrousser chemin, c’est facile. Il suffit de repartir. Par là.
    Du bout ferré de son bâton, il m’indiqua, derrière nous, la pente semée d’arbustes tordus et noirs, calcinés par le froid, que nous avions mis plusieurs jours à gravir. Maintenant, elle plongeait, raide et droite, vers le vide – le vide d’un grand estomac, impatient d’être rempli par nos deux corps.
    — Je ne sais pas si je serai capable de refaire ce trajet…
    — Je vous accompagnerai, comme toujours, Galline et toi.
    Ce disant, Morgennes me passa un bras autour des épaules, et me serra sur sa poitrine pour me communiquer chaleur et assurance. À nos pieds, Galline laissa échapper une sérénade de caquètements interrogatifs.
    Redescendre ou continuer ? Je voyais dans cette situation un parfait résumé de ce que j’avais toujours prêché : « Monter est difficile et descendre facile. Mais si la mort est aux deux bouts, la gloire ne pousse que sur les cimes, quand dans les plaines fleurissent déshonneur et infamie. »
    Je me sentais comme un oisillon tombé du nid, et qu’un enfant ramasse au creux de ses mains. Mais à quoi bon la gloire, si c’est pour finir étranglé ? Jamais je n’étais allé aussi haut ni aussi loin qu’ici, sur le mont Agridagi que les chrétiens appellent Ararat, et dont la légende prétend qu’il est le toit du monde – celui qui communique avec le Paradis.
    Comment moi, Chrétien de Troyes, modeste écrivain, certes doué mais n’ayant pas encore fait ses preuves, osais-je ainsi m’aventurer sur le territoire des dieux et m’approcher de leur panthéon ? Je finirais broyé, c’était certain ! Réprimant un frisson, je murmurai à toute allure la version raccourcie d’une patenôtre, effectuai quelques rapides signes de croix puis lançai à Morgennes :
    — En plus nous ne sommes même pas armés ! Et ton dragon ? Avec quoi comptes-tu le vaincre ? Avec les dents ? Je ne vois nulle part d’Amaury disposé à te prêter sa lance.
    Morgennes ne répondit pas.
    — Ça y est, je sais. Tu veux le battre avec tes poings !
    Oh, oui ! Dans mon délire, je comprenais ! Morgennes avait l’intention d’assommer sa proie, et de la ramener à Jérusalem en la tirant par la queue, tel un Hercule des temps modernes. Ainsi, tous seraient bien obligés de voir quel héros formidable il était, et tous se repentiraient de l’avoir aussi mal jugé lors de son

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