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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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arrivée en Terre sainte, et au Krak des Chevaliers, quand ils s’étaient ri de lui.
    Morgennes ne me quittait pas des yeux, et j’avais le trouble sentiment que, même s’il ne la ressentait pas, il comprenait ma peur. Elle était presque palpable, et paraissait sourdre de mon être tout entier, couler à flots par mon regard. Tout comme il comprenait la peur de la plupart des êtres qu’il avait croisés ; la peur, qui faisait d’un homme sa monture, et l’entraînait où elle le voulait. La peur, qu’il s’était juré de dompter, ou dont il entendait, au pire, se faire une alliée, une maîtresse.
    — Écoute, dit-il, nous nous inquiéterons de ce genre de détail le moment venu. Nous étions persuadés que cette région était infestée de dragons. Pourtant, ni toi ni moi n’en avons vu la queue d’un. Alors, tâchons d’abord de débusquer notre proie, et ensuite nous nous occuperons de savoir comment l’occire. Et puis, qui sait ? Si ça se trouve, c’est toi qui m’aideras à vaincre !
    — C’est ça ! En l’assommant avec un de mes livres ! On m’a déjà dit qu’ils étaient lourds et ennuyeux, mais jamais de cette façon ! Ô, Dieu, me lamentai-je, dis-moi pourquoi je suis venu ici !
    — L’amour de la littérature, me dit Morgennes d’un air moqueur.
    Le pire, c’est qu’il avait raison. J’avais commencé, voici quelques années, un court récit narrant les prouesses de mon ami. Puis je l’avais délaissé pour composer une autre histoire, inspirée par Philomène et Ovide. En vérité, si j’étais là, aujourd’hui, c’était par fidélité, et curiosité. L’envie de voir. Et le sens du devoir – j’avais une dette envers Morgennes, et s’il voulait tuer un dragon, il était de mon devoir, à moi Chrétien de Troyes, de l’y aider. Même s’il n’y avait aucun dragon.
    — C’est de la folie pure !
    — Peut-être, dit Morgennes. Mais peut-être pas !
    Je me libérai de son étreinte. La détermination, la générosité de mon ami n’avaient pas varié d’un pouce. Me baissant jusqu’à terre, je refermai les mains sur de la neige, et la pressai pour en faire une boule. Puis je jetai ma boule de neige aussi loin que possible vers le ciel, comme j’avais jadis, à Arras, jeté mes œufs vers le firmament.
    — Eh bien, m’écriai-je, allons tuer tes dragons ! Et tant pis s’ils nous tuent ! Qu’ils crèvent d’indigestion !
    La boule de neige s’éleva dans les airs, très haut, si haut qu’elle disparut – jusqu’à ce que s’illumine une étoile, la première du soir. Je me sentis rasséréné. J’avais toujours aussi mal aux tempes – à cause de l’altitude –, mais je n’avais plus aussi peur. Les dieux étaient de notre côté, j’en avais la conviction.
    Et puis, surtout, il y avait Morgennes.
    Réenroulant autour de ses mains les bandes de tissu qui lui permettaient de les garder à l’abri du froid, Morgennes réajusta sur son dos les lanières de la cage de Galline, sa petite tente et son sac à dos, puis s’approcha de moi. S’accroupissant à mes pieds, il me saisit brusquement par les jambes, me souleva au-dessus de sa tête, m’installa sur ses épaules, plaqua mes cuisses sur sa poitrine et se redressa de toute sa hauteur.
    Sur cet étrange piédestal, je vacillai un instant, puis retrouvai mon équilibre. La force de Morgennes était celle d’un demi-dieu. Plusieurs fois déjà, elle lui avait permis d’accomplir des exploits que je m’étais juré de relater un jour prochain, dans un de mes récits ou – mieux – dans un de ces mystères religieux que j’avais toujours eu plaisir à composer pour l’édification des foules.
    — Comment messire trouve-t-il son nouveau destrier ? demanda Morgennes.
    — Merveilleux ! J’ai bien envie de l’éperonner !
    — Je te le déconseille, mon ami, fit Morgennes en riant. Ou je te plante ici d’une ruade, si bien et si profondément que tu n’auras pour épitaphe que tes deux pieds.
    Ce disant, il enfonça son bâton dans la neige, et reprit sa route.
    Morgennes continuait d’avancer vaille que vaille. Sa force était si prodigieuse, son moral si inébranlable, que je me dis qu’après tout, il ne lui serait peut-être pas impossible de venir à bout d’un dragon avec ses poings pour seule arme.
    Mais nous avions à peine parcouru la moitié d’une lieue qu’un bruit nous fit nous arrêter. On aurait dit un battement d’ailes. Ou plutôt, le

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