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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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pauvres ; d’une tapisserie, d’une moulure ou d’une mosaïque pour les plus fortunés.
    Guillaume souriait, et en même temps il ne pouvait s’empêcher d’être triste. Il était triste parce que le peuple était facile à berner. Parce qu’il suffisait de parler de façon chatoyante pour être cru. Malheureusement, les vérités n’étaient pas toujours belles à entendre. Mais qui s’en souciait ?
    La vérité, c’est fatigant. Tout ce qui intéresse les gens, c’est le lait et le miel. Et après tout, pourquoi pas ?
    Bien sûr, la description d’un tel endroit n’eût pas suffi à modifier la politique d’un empereur de la stature de Manuel Comnène, s’il n’y avait eu, çà et là, quelques petites piques judicieusement dirigées contre lui pour l’amener à sortir de ses gonds.
    Ainsi, l’authenticité de la foi du basileus (qui se prétendait le « pieux élu de Dieu ») était-elle remise en question par un roi plus puissant que lui (« inégalé sur terre », était-il écrit), et qui se contentait du simple titre de « prêtre » : « Nous voulons et désirons savoir si vous avez la vraie foi comme nous et si vous croyez à tous égards en Notre-Seigneur Jésus-Christ. »
    Ensuite, par un habile changement de perspective, il était dit que si l’empereur pouvait passer aux yeux de ses « petits Grecs » pour un dieu, le prêtre Jean savait, lui, qu’il n’en était rien. Manuel Comnène, « mortel et soumis à la corruption humaine », n’était qu’un homme comme les autres, susceptible d’être critiqué.
    Voire destitué.
    Car il devait sa charge d’empereur, non pas à sa nature (en rien exceptionnelle), ni même à Dieu, mais bien plutôt au hasard, et aux circonstances. Empereur aujourd’hui, à Constantinople. Mais demain ? Mais ailleurs ?
    Le prêtre Jean ne parlait-il pas de l’embaucher comme « majordome » ?
    Quand les premières copies de cette lettre étaient parvenues au palais de l’empereur, Manuel s’était contenté de hausser les épaules avec un sourire dédaigneux.
    « Mon prestige est si grand, s’était-il dit, ces assertions si extravagantes, que nul n’y prêtera attention. Au pire, on rira… »
    Ce qu’il ne savait pas, c’est que ses conseils avaient attendu plusieurs semaines avant d’oser lui en parler – car pour eux l’affaire était grave. Si grave qu’ils redoutaient sa colère, et qu’aucun d’eux ne voulait être le « porteur de mauvaises nouvelles ».
    Quand ils se résolurent à la porter à sa connaissance, ils ne comprirent pas que Manuel n’en prît pas aussitôt la mesure.
    Pour eux, ces lettres étaient les sapeurs d’une armée, qui par leurs travaux souterrains risquaient de faire s’écrouler les plus hautes murailles. L’empereur, lui, n’y avait vu que sottises et élucubrations propres à distraire les foules ; des choses si folles que nul, jamais, ne leur accorderait crédit.
    Et pourtant.
    Petit à petit, on se mit à murmurer dans son dos. Puis du murmure on passa au rire, sous cape – pour l’instant.
    Mais Manuel sentait approcher le moment où l’on parlerait en sa présence sans se soucier d’être ou non vu de lui, où l’on rirait à gorge déployée ; et où, « pour le bien de l’Empire », ses généraux le prieraient de leur céder le trône. Il décida de réagir. Aveuglé par la colère, il commença par donner l’ordre de brûler toutes les copies de cette lettre. On en trouva quelques dizaines, qui s’en allèrent alimenter les fourneaux des thermes impériaux. La semaine d’après, une nouvelle récolte en apporta deux fois plus. Le mois suivant, elles s’étaient encore multipliées – et avec elles vinrent les éclats de rire.
    Pareilles aux têtes de l’hydre, les copies de la « lettre du prêtre Jean » ne se laissaient pas abattre. Au contraire, plus Manuel les attaquait, plus elles se multipliaient. Il comprit alors qu’il devait modifier sa tactique.
    Comme c’était un empereur intelligent, doté d’une profonde connaissance de la nature humaine et d’un sens aigu de la politique, une fois sa colère calmée, il prit enfin la juste mesure de son ennemi. Ce qu’il avait à vaincre, ce n’était pas une armée, contre laquelle il aurait pu envoyer ses mercenaires, c’était un mythe. Une légende. C’était surtout, comme le Paradis, l’espoir d’une vie meilleure. Un adversaire contre lequel il était dangereux de triompher…
    La

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