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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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l’être humain – sur celle, pour commencer, des vaches et des cochons.
    — Parce qu’ils sont nos plus proches voisins, lui dit Coloman.
    Ainsi, il apprit à saigner l’ennemi, à l’endolorir, l’assommer, le paralyser, l’estropier, et pour finir à l’envoyer ad patres. Mais il se familiarisa aussi avec les nombreuses techniques permettant d’amollir la viande, à l’aide d’une masse, d’un gourdin, d’une matraque, d’un marteau, ou de son seul poing. Ensuite, on lui inculqua l’art de faire avec ses armes toutes sortes de glissades, parades, cabrioles, qui le voyaient frapper d’estoc et de taille, par en haut, par en bas et, bien sûr, par surprise.
    Arriva enfin le jour tant attendu où Coloman annonça à Morgennes :
    — Maintenant que tu sais fendre les meilleures armures, fausser les boucliers, défoncer les heaumes, passer ta lance au bout d’un anneau suspendu à un fil, et couper une fleur de la pointe de ta dague – et tout cela au grand galop –, te voici prêt pour le service !
    — Au grand galop ? Mais je ne suis jamais monté à cheval !
    — Détrompe-toi, tu as fait mieux ! Te rappelles-tu les nombreuses esclaves avec lesquelles tu passas moult nuits ?
    — Et comment, dit Morgennes.
    — Eh bien, il y en eut des jeunes et des sauvages, des grosses, grasses et lourdes, des noires, des blanches et des brunes, des qui regimbaient, des qui ruaient, des qui se précipitaient et t’accueillaient, la croupe tendue… Pour autant que je sache, en matière de montures, tu as monté un peu de tout et les as prises aussi bien par-derrière que par les côtés, par en haut, par en bas, changeant de position quand cela te chantait, et les menant à ton gré là où tu voulais les mener. À droite, à gauche, en face, en haut, en bas, et tout cela sans selle, étriers ni rênes… Celui qui chevauche les femmes n’a rien à craindre des chevaux, car il n’est pas de montures plus exigeantes et plus difficiles à monter qu’elles – hormis, peut-être, une jeune jument… Enfin ? Dis-moi ? Ne sais-tu pas passer en pleine course de l’une à l’autre ? Basculer de sur leur dos à sous leur ventre ? Crois-moi, tu es prêt, plus que prêt…
    Coloman joignit les mains et plongea son regard dans celui de Morgennes.
    — Tu étais déjà maître dans l’art de te déguiser et de te faire passer pour autre. Maintenant que tu sais te battre, monter à cheval, à chameau, et à tout ce qui peut se monter, que l’argot des matelots, des ouvriers, des tailleurs de pierres et des huissiers n’a plus de secrets pour toi, et que tu sais ouvrir tout ce qui est d’ordinaire fermé (je parle des coffres et des consciences), il est grand temps pour toi d’être mis à l’épreuve…
    Coloman décroisa les mains et sortit de l’intérieur d’une de ses manches un rouleau de parchemin fermé par un sceau d’or.
    — Qu’est-ce que c’est ? demanda Morgennes.
    — Tu l’ouvriras dehors. Même moi je n’ai pas le droit d’en connaître la teneur. Il s’agit d’une chrysobulle impériale – ton premier ordre de mission !
    Morgennes prit la chrysobulle que lui tendait Coloman, le salua et quitta son palais. Une fois dehors, il lui sembla que le ciel, la vie à l’extérieur, étaient tout autres que ceux qu’il lui avait été donné de contempler au cours des années passées à apprendre son métier – si tant est que mercenaire, ou soudard, soit un métier.
    — Comme le monde a changé ! dit Morgennes en regardant Constantinople.
    — Le monde ? dis-je. Non. Mais toi, oui.
    Sans m’écouter, il rompit le sceau impérial, et lut son ordre de mission.

23.
    « Où sont les dieux ? Où est la foi donnée ? Les as-tu déjà oubliés ? »
    ( CHRÉTIEN DE TROYES ,
Philomena. )
    —  Je vais bientôt avoir trente ans, me dit Morgennes un soir. Et jusqu’à présent, qu’ai-je fait ? Voler leur bosse à des bossus pour l’apporter à des marchands de talismans. Déterrer les os de rois morts avant la venue du Christ, pour qu’ils n’aient plus ni au-delà ni sépulture. Trouver douze vierges de douze ans ayant – telle Athéna – les cheveux d’or et les yeux pers, afin de les glisser dans les draps de l’empereur. Dénicher l’unique vieillard chenu, borgne de surcroît, à n’avoir pas un seul cheveu blanc sur le crâne. Écorcher vif une quinzaine de grands loups, puis les lâcher vivants dans un village pour en faire fuir les habitants.

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