Morgennes
nain le regarda bizarrement, esquissa une sorte de grimace, puis lui dit :
— Ne sommes-nous pas en permanence aux portes du Paradis ?
— Que gardez-vous ? continua Morgennes. Qu’y a-t-il derrière cette porte ? Êtes-vous l’un de ces bons génies qui accordent des vœux quand on les libère de la fiasque où ils étaient emprisonnés ?
— Que nenni ! fit le nain. Je ne suis pas un génie. Je suis simplement le gardien de la porte permettant d’accéder à l’Ultime épreuve !
— Ah ! Je savais bien qu’il restait encore une épreuve, dis-je. C’était écrit. Eh bien, cette épreuve, en quoi consiste-t-elle ?
— Je l’ignore. Pour ma part, je ne suis que l’humble gardien de la porte, répéta le nain avec une nouvelle révérence.
— Maintenant que cette porte n’est plus, dit Morgennes, je ne vois pas ce qui nous empêche d’aller plus loin…
— Moi, fit le nain. Car ceux qui veulent avancer doivent me passer sur le corps.
— Vous passer sur le corps ?
— Absolument.
— Parfait, soupira Morgennes. Préparez-vous !
Ce disant, il s’approcha du nain et chercha à le pousser de côté. Mais le nain bougea aussi peu que si Morgennes avait cherché à déplacer une montagne.
— Ne voulez-vous pas plutôt jouer au jeu des énigmes ? demandai-je au nain en voyant combien Morgennes était à la peine.
— Non, dit le nain. C’est la règle. Après l’épreuve de la tête vient celle du corps. C’est une épreuve difficile…
— Écoutez, lui dit Morgennes, je n’ai aucune envie de vous faire mal. Mais si c’est ce que vous voulez, alors je n’hésiterai pas à employer la force…
— Pour me vaincre, poursuivit le nain, impassible, il vous faudra faire appel à tout votre corps, à vos bras, à vos jambes, à vos muscles…
— J’ai compris, dit Morgennes.
— Alors allons-y !
Après un nouveau salut, il se remit en position, mains en avant, doigts écartés. Comme un lutteur.
— Tu ferais mieux d’abandonner, dit Morgennes en relevant ses manches.
— Impossible, dit le nain.
Morgennes empoigna le nain par la taille, et essaya de le soulever. Mais le nain ne bougea pas d’un poil, comme si ses pieds avaient été scellés dans le sol. Hors d’haleine, Morgennes reprit son souffle, le visage en sueur, rouge comme une pivoine, et demanda au nain :
— Est-ce la salle du trône qu’il y a là, derrière toi ?
— Je vous l’ai déjà dit, fit le nain. Je ne sais pas.
— Bon. Reprenons.
Morgennes retroussa une nouvelle fois ses manches, et une fois encore le nain le salua, en inclinant profondément le buste.
— Tu es bien poli, pour un gardien !
— C’est la règle ! fit le nain. Et puis, ne dit-on pas que la politesse est un parfait sésame ?
Morgennes ne l’écoutait pas, car il était trop occupé à essayer de le pousser, de le tirer, de lui faire un croche-pied et toutes sortes de prises – chaque fois en vain. Il tenta même de l’étrangler, mais comme le nain ne respirait pas, cela ne servit à rien. Et s’il passait par les côtés ? Malheureusement, l’espace entre le nain et l’encadrement de la porte n’était pas assez large. Quand Morgennes essayait de s’y faufiler, le nain lui bloquait aussitôt le passage – car il était rapide.
— Par le ventre de Dieu ! Il doit bien y avoir un moyen !
Morgennes, qui s’était reculé d’un pas, s’épousseta afin de se donner une contenance. Il n’y arrivait pas. Ce nain l’horripilait… Ce n’était pas un nain, c’était un roc ! Un Krak ! Jamais il ne réussirait à le faire bouger. À moins de ruser ?
— Tu bouges vite, l’ami ! Mais si l’on essayait de passer à deux, mon camarade et moi, que ferais-tu ?
Le nain se contenta de ricaner, et lui dit avec une nouvelle courbette :
— Comme vous voudrez.
C’est alors qu’une idée me vint. Tout à coup, cela me sembla évident :
— Laisse-moi faire, dis-je à Morgennes.
— Mais tu vas te faire mal ! Non, non, c’est à moi qu’il revient de…
— Pousse-toi !
Morgennes recula d’un pas, et me laissa approcher du nain – qui se pencha en avant afin de me saluer, les bras le long du corps. Je lui rendis son salut, ce qui eut pour effet que le nain exagéra sa courbette. Je me pliai à mon tour un peu plus en deux.
— Je commence à comprendre, dit Morgennes. Très futé !
Nous en étions arrivés au point où j’avais posé un genou à terre, tant
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