Morgennes
s’agenouiller au-dessous de lui un humble vieillard, dont les mains et les pieds étaient pris dans des chaînes d’or. Qui était-il ? Guillaume n’aurait su le dire, mais le vieillard gardait baissée sa tête chauve, et ne proférait pas une parole alors que Manuel versait du vin sur son dos nu, ou s’essuyait les mains à son pagne.
Une confidence de Coloman, le Maître des Milices, apprit à Guillaume qu’il s’agissait d’un dieu de l’Antiquité. Peut-être Apollon lui-même, capturé par l’un des mercenaires de l’empereur – un certain Morgennes.
— Morgennes ! s’exclama Guillaume. Mais je le connais ! C’est moi qui lui ai suggéré de quitter le royaume de Jérusalem, où nul n’était prêt à reconnaître sa valeur.
— J’ai tout de suite vu de quel bois il était fait, se vanta Coloman. Il me rappelait un vieil ami, un excellent soldat qui comme Morgennes avait quelques difficultés à…
Il parut se perdre dans ses souvenirs, et ne termina pas sa phrase.
— Obéir aux ordres ? suggéra Guillaume.
— Oui, dit Coloman en revenant à lui. D’ailleurs, une fois qu’il aura rempli sa treizième mission, je crois que l’empereur ne lui en confiera pas d’autres. Morgennes finira probablement sa carrière dans une arène, en compagnie de gladiateurs…
— Puisse savoir en quoi consiste sa treizième et dernière mission ?
— À tuer le prêtre Jean, dit Coloman en portant à sa bouche une cuillerée d’œufs de fourmi.
— Ah, fit Guillaume.
Il avala avec difficulté un grain de raisin, et demanda au mégaduc Coloman – pour changer de sujet :
— Alors, ce vieillard là-bas, c’est vraiment un dieu ?
— L’empereur le croit, dit-il en haussant les épaules. Oseriez-vous le contredire ?
— Certainement pas !
Un premier esclave installa entre Guillaume et Coloman une table basse, où un second esclave déposa un plateau d’argent contenant du poulet haché mélangé à du riz et à des amandes. Guillaume voulait manger avec ses doigts, mais comme Coloman utilisait des couverts pour porter la nourriture à sa bouche, il l’imita. Le poulet fut suivi d’un ragoût d’agneau aux épices, accompagné de gratin d’aubergines ; puis on leur apporta pour le dessert des figues, des dattes, des raisins secs et du fromage frais. Des esclaves se tenaient à la disposition des convives, soit pour les éventer, soit pour verser de l’eau sur leurs mains et leur passer sur les doigts une serviette de lin blanc, fort agréable au toucher. Guillaume but un peu de vin, lui trouva un goût de poix, et préféra prendre du thé. Vers la fin du repas, alors qu’on leur apportait des copeaux de savon pour se laver la barbe, une jeune femme leur joua sur une lyre une agréable pastorale, tandis que douceurs et pâtisseries étaient servies à foison.
Guillaume était ravi, mais en même temps pressé de rentrer chez lui. Il ne se sentait pas à sa place. Enfin, alors que l’empereur ne lui avait quasiment pas adressé la parole de tout le banquet, Manuel se tourna vers lui pour demander :
— Que pensez-vous des menteurs ?
Guillaume tressaillit.
— Eh bien, Majesté, je dirais qu’ils savent se faire des amis.
— Pas ceux qui disent la vérité ?
— Non. Ceux-ci, malheureusement, qu’il s’agisse de la vérité ou plus simplement de ce qu’ils pensent, ne s’attirent que la haine… Quand il s’agit de dire ce qui déplaît, bien entendu.
— Vraiment ?
— La complaisance engendre l’amitié, mais de la vérité naît la haine.
— Alors, je pense que vous devriez vous plaire chez le prêtre Jean.
Guillaume garda un calme olympien, se contentant de dire :
— Puis-je demander à Sa Majesté pourquoi ?
— Vous ne vous souvenez pas de ce qui était écrit dans l’une de ces fameuses lettres : « Parmi nous personne ne ment ni ne peut mentir. Et si quelqu’un commence à mentir ici, il meurt aussitôt » ?
— Ah oui ! fit Guillaume. Bien sûr, je me rappelle…
La fin de sa phrase se perdit dans un souffle inaudible, car il n’était pas sûr de savoir jusqu’à quel point il était sage de s’en souvenir.
— D’après les ophites, les serpents de mon labyrinthe sont supposés venir du royaume du prêtre Jean, poursuivit Manuel. Ne trouvez-vous pas cela étrange ?
— Si, Majesté.
Manuel but une gorgée de thé, et plongea son regard dans celui de Guillaume :
— Je trouve ce royaume
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