Morgennes
chinois et la dernière dans une langue inconnue –, une sur chacune des faces du manche, mais elles signifiaient toutes : « Réveille les gongs, et le gardien de la porte s’éveillera. »
— Réveiller les gongs ?
Morgennes me regarda, rit la ligne du jour au pied des premiers gongs, et me dit :
— Prenons chacun l’un des marteaux, et à mon signal frappons ensemble sur les gongs !
Aussitôt dit, aussitôt fait, nous nous emparâmes chacun d’un marteau, et au signal de Morgennes l’abattîmes sur les gongs de la première rangée.
Le son qui en jaillit fut si puissant que je crus que les parois allaient s’effondrer. Mais rien de tel ne se produisit. Au contraire, sous nos yeux émerveillés, la ligne du jour bondit au pied des troisième et quatrième gongs, tandis que les deux premiers gongs se mettaient à luire, tels deux petits soleils.
— Par le dieu de Jacob ! m’écriai-je.
— Crois-tu que nous ayons déplacé le soleil ?
— Allons voir.
Une fois dehors, nous constatâmes que le soleil n’avait pas changé de place.
De retour à l’intérieur, nous regardâmes la ligne du jour avec tout le respect – voire l’effroi – dû aux phénomènes fantastiques. Maintenant au milieu du corridor, elle était pour nous comme la frontière entre l’étrange et le réel ; et nous redoutions presque ce que nous allions trouver quand elle viendrait illuminer la porte au masque de pierre.
Une fois encore, nous nous plaçâmes de part et d’autre du corridor, levâmes notre marteau d’un même mouvement, et d’un même mouvement le laissâmes retomber sur les troisième et quatrième gongs, qui donnèrent un son plus grave et étincelèrent eux aussi. Il nous semblait avoir descendu une marche, franchi un pas de plus en direction des Enfers.
— Ses paupières ont bougé ! m’exclamai-je, en pointant du doigt le masque de pierre sur la porte.
— Tu te trompes. Ce sont ses lèvres qui ont remué !
— En tout cas, il a réagi !
Morgennes s’approcha du masque de pierre. Apparemment, rien n’avait changé. Rien, sinon que maintenant la lumière du jour avait atteint les cinquième et sixième gongs, c’est-à-dire les derniers. Après eux, il n’y avait plus que la porte.
— Tu sais ce qu’il nous reste à faire, dit Morgennes. Allons, courage.
Je levai mon marteau, et donnai à Morgennes le signal :
— À la une ! À la deux ! À la trois !
Les derniers coups de gong retentirent, et cette fois il y eut tellement de lumière dans le corridor que je fus obligé de fermer les yeux. Galline poussa une série de caquètements inquiets, et tourna en rond dans sa petite cage, se heurtant aux barreaux de métal.
— Morgennes !
La lumière ayant baissé d’intensité, Morgennes ouvrit enfin les yeux. Et que vit-il ? Les bas-reliefs en forme de dragon s’agiter sur les murs, fouetter l’air de leur queue, tendre leurs griffes vers le plafond, ouvrir la gueule, et disparaître sous les hautes voûtes du couloir. Il n’y avait plus désormais que les gongs, aussi brillants que des étoiles, et l’énorme porte de pierre – qui changeait peu à peu d’aspect. En effet, au moment où nous avions frappé les derniers gongs, la ligne du jour avait sauté d’un cran, en direction de la porte – qu’elle illuminait totalement. Était-ce à cause de la lumière, ou bien à cause du timbre caverneux des gongs ? En tout cas, la porte se fendillait, se craquelait, et l’être en son milieu sortit enfin de son sommeil. De la poussière tomba de ses yeux, profonds et luisants, sa bouche recracha des bouts de plâtre, puis deux mains fendirent la porte en mille morceaux. Dans un tonnerre de pierres fracassées, un être de la taille d’un enfant, blanc comme neige, trapu comme un colosse, apparut au milieu du corridor en lieu et place de l’entrée. Il s’agissait de l’homme dont le visage s’était trouvé au centre de la porte – qui n’était plus que ruines et poussières.
— Encore une épreuve ? s’interrogea Morgennes.
— Possible, fis-je avec un sourire.
Contre toute attente, le nain blanc ne nous attaqua pas. Au contraire, il nous salua, nous gratifiant d’une profonde révérence.
— Amis, nous dit-il, je vous félicite ! Jamais avant vous aucun héros n’était parvenu jusqu’à moi.
— Qui êtes-vous ? demandai-je.
— Mon nom n’a aucune importance.
— Sommes-nous aux portes du Paradis ? fit Morgennes.
Le
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