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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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insupportable. N’êtes-vous pas d’accord avec moi ?
    Guillaume garda le silence. Que faire ? Être de l’avis de Manuel ? Ou pas ? Ou pire, avouer son crime ? Se jeter aux pieds de l’empereur et confesser ce qu’il avait dû entreprendre pour l’amener à entrer en guerre aux côtés d’Amaury ? Sa lèvre inférieure trembla légèrement, et il fut saisi d’un doute sur la démarche à suivre, lorsqu’il croisa le regard du vieillard qui servait de repose-pieds à l’empereur. Le vieil homme avait légèrement relevé la tête, et considérait Guillaume avec intensité. Mais comme tous les yeux étaient braqués sur l’ambassadeur d’Amaury, personne ne le vit lui intimer, en secouant la tête, de garder le silence.
    De toute façon, Guillaume se sentait – comme dans le Labyrinthe de la Vérité – innocent. Oui, il devait être innocent, forcément. Il ne pouvait entrer dans les desseins du Très-Haut de soutenir un menteur. Alors, adoptant la plus humble des conduites dictées par la diplomatie, Guillaume répondit :
    — Je n’en sais pas assez à son sujet pour avoir un avis.
    Guillaume avait la désagréable impression d’être la souris avec laquelle le chat s’amuse.
    — Racontez-nous, poursuivit l’empereur en s’abandonnant avec délices aux mains expertes d’une masseuse orientale, de quelle manière la Compagnie du Dragon blanc a sauvé la vie de votre roi et de ses hommes, lors de sa campagne d’Égypte. Ce fut un désastre, non ?
    Guillaume planta son regard dans celui de l’empereur, et admit :
    — Oui, Majesté. Un désastre comme on en vit peu. Et si la Compagnie du Dragon blanc ne s’était trouvée là, pour recueillir à bord de son étrange nef l’armée du roi et celle des Hospitaliers, il y a fort à parier que le royaume de Jérusalem…
    — Ne serait plus qu’un souvenir, bien pâle, l’interrompit l’empereur en souriant sous la caresse des doigts de sa masseuse.
    — Le roi et son armée avaient pris position autour de Bilbaïs, raconta Guillaume. Ils l’assiégeaient, lorsque Chawar, le vizir du calife d’Égypte, eut une idée diabolique. Il donna l’ordre à ses troupes de briser les digues du Nil. Celles-ci rompues, une montagne d’eau s’abattit sur Bilbaïs et les chevaliers stationnés dans la plaine. Protégée par ses murailles, la ville s’en sortit tant bien que mal. Mais les Francs périrent par milliers. La plupart des fantassins rendirent l’âme, et leurs cadavres s’en allèrent flotter avec ceux des chiens et des chameaux. Enfin, quelques chevaliers – dont le roi et sa cour – parvinrent à gagner le refuge de hauteurs aux alentours de la ville : toit d’une maison, faîte d’un arbre ou d’une petite colline. Le roi regardait les eaux monter, monter, et se désespérait… Ne redescendraient-elles donc jamais ? La nuit tombait, et les eaux grossissaient toujours. On aurait dit que le Nil lui-même avait pris part au combat. Tel un immense serpent d’eau, il avait enfermé Amaury dans un piège liquide… Voyez-le, ce roi, son sénéchal à côté de lui, bannière claquant au vent du soir… Quel espoir a-t-il, là, sur ce mamelon de terre que les eaux du Nil ne cessent d’éroder ? Il est comme les premiers hommes, au moment du déluge. Il attend ! Il espère ! Il prie, et s’en remet à Dieu. Mais Noé n’est plus depuis déjà plusieurs siècles. Qui viendra ? Qui peut venir ? La Compagnie du Dragon blanc ! Voyez-le, cet étrange navire qui surgit dans un rayon de lune. Les eaux s’écartent sur son passage – elles manquent de témérité, car c’est en vérité une seconde Arche de Noé ! Elle s’approche de chacun des chevaliers, et là un géant du nom de Gargano les aide à monter à bord. La nuit passe, et le soleil revient. Mais ce que voient les Égyptiens, ce n’est pas une armée annihilée, ce n’est pas une terrible défaite infligée aux Francs. Non, ce qu’ils voient, ce n’est rien. Le désert… Et au loin, très loin en direction de l’Orient, une tache. Un point qui se déplace : c’est l’Arche de Noé qui évacue vers Jaffa les restes de l’armée du roi.
    — Superbe ! fit Manuel Comnène en applaudissant. Superbe !
    Et toute la salle de vibrer sous les applaudissements et les cris d’extase. Magnifique ! Bravo ! Mais qui applaudit-on ? Le narrateur ? Amaury ? Ou la Compagnie du Dragon blanc ? Guillaume, pour sa part, pencha pour cette dernière.

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