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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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ce que nous entendions, c’était une mélodie sourde et délicate, une succession de caresses indistinctes – frôlement de la soie quand on l’ôte du corps, chant du tissu sous lequel on se glisse pour un long et très profond sommeil.
    Parfois, je fermais les yeux, m’appuyais contre Morgennes et attendais. Combien de temps restâmes-nous ainsi, enchaînés l’un à l’autre, dans un réduit qui n’était guère plus grand qu’une tombe ? Une semaine ? Un mois ? Un hiver tout entier ? Pourquoi personne ne venait-il nous chercher ? Nous avait-on oubliés ?
    Parfois, Morgennes tendait les mains vers les grilles au-dessus de nos têtes, et grattait la neige avec ses ongles. C’était un travail difficile, à cause des chaînes passées à nos poignets. À intervalles réguliers, il m’apportait un peu du fruit de sa récolte :
    — Avale !
    Je n’avais plus la force de lui obéir. Alors, délicatement, il m’ouvrait la bouche et y introduisait, avec les doigts, quelques miettes de neige. J’avais trop froid, trop faim, pour dire quoi que ce fût. Mais je le regardais, cherchant à lui parler avec les yeux. Je lui disais : « Merci, merci… »
    Telle une mère pressant son enfant sur son sein, il me serrait sur sa poitrine, et me communiquait sa chaleur. Ce fut là, probablement, ce qui me sauva. Je dis « me » et non pas « nous », car Morgennes ne semblait pas souffrir comme nous autres, pauvres humains, des éléments. Le chaud, le froid, le laissaient à peu près indifférent.
    Les soldats qui nous avaient jetés dans cette geôle étaient pour partie des habitants de la région, pour d’autres originaires de France ou d’Égypte. L’un d’eux nous avait appris que nous nous trouvions à l’intérieur de la zone des monts Caspiens, qui délimitaient la frontière occidentale de l’Empire du prêtre Jean et constituaient les territoires des dangereux Goths et Magoths.
    — Vous êtes dans tout ce qui reste des derniers territoires d’Alexandre le Grand, me dit-il. Nous adorons le Conquérant, et protégeons l’Arche – afin que nul ne vienne jamais la descendre de l’endroit où le Très-Haut l’a placée.
    — Et les dragons ? demandai-je.
    L’homme me regarda, puis rejoignit sa colonne. Visiblement, c’était un sujet tabou. Mais peut-être les dragons habitaient-ils ces sortes de cavernes percées dans les flancs de la montagne vers laquelle nous marchions. C’est là, après plusieurs jours d’une route harassante, qu’ils nous ôtèrent nos chaînes. Morgennes et moi étions exténués, et dès que les soldats nous détachèrent de leurs chevaux, je m’effondrai – trop épuisé pour rester debout. Sous la menace de leurs armes, ils nous conduisirent dans ce trou infâme creusé à même la neige.
    — Que nous reprochez-vous ? leur demandai-je dans un souffle.
    — Silence, vermines ! cria l’officier au cimier empanaché de plumes orange qui avait procédé à notre arrestation. Car non contents d’avoir violé l’entrée du Monastère interdit, vous faisiez partie de l’équipe qui a volé l’Arche ! Avouez que vous venez de Constantinople !
    Voler l’Arche de Noé ? Mais de quoi parlait-il ?
    — Oui, nous venons bien de Constantinople, reconnut Morgennes. Mais nous n’avons rien à voir avec les voleurs de l’Arche. Nous ne savions même pas qu’elle était dans ces parages.
    Tout en parlant, il repensait aux schémas qu’il avait vus chez Coloman. Pendant plusieurs années, pas un navire n’était sorti des arsenaux de Constantinople – parce qu’ils étaient trop occupés, dans le plus grand secret, à remettre en état un navire dont nul ne savait rien. Un apprenti mercenaire avait un jour expliqué à Morgennes que les travaux n’avançaient pas parce que les ingénieurs de Manuel Comnène attendaient la venue d’un expert, arrivé de France… « Se pourrait-il que cet expert fût Philomène ? »
    — Qu’allez-vous faire de nous ? demanda-t-il à l’officier.
    — Silence !
    Sur ce, ils se saisirent de Galline, nous confisquèrent notre équipement, mais nous laissèrent les oripeaux qui nous tenaient désormais lieu d’habits. Puis la neige et le froid arrivèrent, très vite. Un matin, ou plutôt, une nuit… Enfin, non. C’était bien le matin, sauf qu’il n’y avait plus de jour. Morgennes et moi nous réveillâmes dans la pénombre et le silence. J’allais dire quelque chose, parler de ma surprise, mais

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