Morgennes
D’ailleurs, la suite lui donna raison, car Manuel lui dit :
— Vous voyez, je vous avais prévenu. L’Égypte n’est pas une mince affaire ! Sans notre aide, vous êtes perdus… Alors écoutez mes conseils. Allez retrouver votre roi, et dites-lui de patienter. Je vous connais, vous, les Francs ! Vous êtes si impétueux, si sûrs de vous-mêmes, pleins d’allant et de bravoure… Au premier assaut ! Car ensuite, si par malheur vous rencontrez la moindre difficulté, vous temporisez, parlez, tergiversez, discutez, ergotez, pesez le pour et le contre et philosophez… Vous vous montrez en tous points les rois de l’indécision. Alors c’en est fini de vous ! Vous ne valez plus rien pour le deuxième assaut… Monsieur l’ambassadeur, nos arsenaux ont besoin d’un an pour construire la flotte que je vous ai promise. D’ici là, ne bougez pas. Ou plutôt si, cherchez ! Activez-vous, car…
L’empereur marqua une pause. Fermant les yeux, il continua de parler sans même regarder son interlocuteur :
— Vous avez sûrement lu les Additions à Daniel ?
— Oui, Majesté, dit Guillaume.
— Alors, vous n’êtes point sans savoir qu’il y est fait mention d’un culte des dragons, établi dans Babylone…
— Certes, reconnut Guillaume. Mais Babylone…
— C’est Le Caire ! Comme vous le savez, Babylone sert à la fois à désigner Babylone ou Babel, mais aussi, mais surtout, l’ancienne ville du Caire – encore appelée Fostat. Eh bien, moi je vous dis qu’il existe à Fostat une secte d’adorateurs des dragons, les ophites, dont le rôle joué à la fois dans les lettres du prêtre Jean, et dans le désastreux échec de votre roi en Égypte, est patent.
— Puis-je demander à Sa Majesté ce qui lui permet de l’affirmer ?
— C’est nous qui avons envoyé la Compagnie du Dragon blanc en Égypte, afin d’enquêter sur ces ophites et les dragons. Oui, les dragons existent, et pas uniquement dans les pages de la Bible ou les fantasmes de nos contemporains. Les dragons existent, et pour les vaincre je ne connais que deux moyens : la vérité, et Crucifère – l’épée de saint Georges. C’est cette dernière qu’il nous faut. Sans elle, il est vain d’espérer soumettre Le Caire.
Ces paroles avaient été proférées les yeux fermés, et pourtant Guillaume sentait toute l’urgence qu’elles contenaient. Oui, Crucifère ! L’épée de saint Georges, le dernier des chasseurs de dragons…
— Mais où se trouve-t-elle ?
— Si je le savais, dit Manuel, il y a longtemps que le problème égyptien n’en serait plus un. Allons, foin de Rome et de Jérusalem, et trêve de plaisanterie. Vos petits jeux ne m’amusent plus, Guillaume. L’heure est à la guerre. Et ce n’est pas vous qui m’y avez décidé, ni les ophites – qui aimeraient peut-être me voir renverser les chiites musulmans pour leur laisser le champ libre. J’ai moi aussi un héritage à défendre, et un enfant auquel le transmettre… Je ne suis que le maillon d’une chaîne, et je n’ai pas l’intention de céder.
— Que proposez-vous ?
— Dites au roi Amaury de m’attendre, car on ne sait jamais quels funestes événements pourraient se produire s’il partait à nouveau, seul, en campagne. Je sais qu’il manque d’or et ne peut s’offrir tous les mercenaires qu’il voudrait. Je sais qu’il manque de chevaliers et de matériel. L’Égypte regorge de richesses, il est vrai. Mais nous aussi. Le nerf de la guerre, c’est l’argent – alors qu’il attende, et lance l’un ou l’autre de ses hommes sur les traces de Crucifère. Cherchez, fouillez, de haut en bas, tout près d’ici ou très loin ! Retournez dans tous les sens Lydda, la ville où l’on adore saint Georges ! Retrouvez son tombeau. Mettez Le Caire sens dessus dessous ! Car, si j’en crois les augures, lorsque les Égyptiens attaqueront, ils seront accompagnés de dragons. À nous d’avoir des draconoctes !
— Des draconoctes ?
— Des chasseurs de dragons. De ces chevaliers dont saint Georges est l’emblème, et mes deux gardes – je parle de ceux montés sur mes dragonnets – l’illustration…
— Fort bien, dit Guillaume. Je rapporterai les paroles de Sa Majesté à mon souverain, et je vous promets que nous ferons tout notre possible pour…
— Je sais qu’il cherche à se remarier.
— C’est exact, mais comment…
— Qu’il arrête de chercher. S’il retrouve Crucifère, je
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