Mort à Devil's Acre
particulier. Elle était prête à relever le défi et à affronter le danger
que représentait une nouvelle enquête, mais l’homme avait été découvert dans un
quartier dont elle ignorait tout, excepté sa mauvaise réputation. Et à Lambert
Gardens, lieu de résidence du médecin, Charlotte ne connaissait personne qui fit
partie du cercle des relations de sa famille. Elle ne pouvait donc être d’aucun
secours à Pitt.
Néanmoins, si celui-ci acceptait de lui parler de l’affaire,
elle pourrait peut-être exploiter au moins son intuition et sa finesse d’analyse.
Par le passé, elle s’était montrée assez habile à deviner les mobiles des
assassins ; les êtres humains n’ont-ils pas tous la même nature profonde, en
dépit des circonstances ?
En entendant la porte s’ouvrir, elle se précipita vers Pitt,
devançant Gracie. Elle le débarrassa de son manteau qu’elle mit à sécher sur la
patère, puis se tourna vers lui pour l’embrasser. Son visage était glacé. Il
devait être épuisé ; il avait quitté la maison aux aurores, sans même prendre
un petit déjeuner. Son instinct lui conseilla de refréner sa curiosité et d’attendre
qu’il ait fini de souper pour lui parler. Elle se dirigea vers le salon en l’entretenant
de choses anodines ; Pitt s’installa devant le feu pour se réchauffer les
mains en attendant que Gracie serve le dîner.
Vers neuf heures, elle décida qu’elle s’était montrée
suffisamment patiente et qu’il était temps d’en venir au fait.
— Ce matin, un agent est venu vous chercher… Il s’agissait
du crime de Devil’s Acre, n’est-ce pas ?
Une ombre de tristesse amusée passa sur les traits de Pitt. Quand
Charlotte essayait de lui extorquer des renseignements par la bande, il voyait
toujours clair dans son petit jeu, aussi avait-elle renoncé à faire preuve de
subtilité ! De toute façon, elle n’avait pas eu le loisir de réfléchir à
la question pour aborder le sujet de façon détournée.
— Oui, répondit-il, sur ses gardes. Mais votre famille
n’a pas de relations à Lambert Gardens. Désolé, vous ne pouvez m’être d’aucun
secours.
Charlotte ne manquait pas de repartie.
— Non, bien sûr, mais comment ne pas s’intéresser à
cette affaire ? Elle fait la manchette de tous les journaux du soir !
Voyant Pitt faire la grimace, elle préféra changer de
tactique.
— Soyez prudent, Thomas. On dirait qu’un fou dangereux
opère dans ce quartier. Le crime paraît bien être l’œuvre d’un déséquilibré, non ?
D’abord, que faisait ce Dr Pinchin à Devil’s Acre ? Y possédait-il un
cabinet de consultation ? Les journaux le décrivent comme un homme très
respectable.
Charlotte se méfiait des apparences ; elle avait
souvent côtoyé des gens « respectables » : l’adjectif signifiait
qu’ils étaient assez riches ou assez intelligents pour conserver une façade d’honorabilité
derrière laquelle pouvaient se cacher toutes sortes de vices.
Pitt sourit. Son regard clair et perspicace la mit mal à l’aise.
— Merci, ma chérie, mais vous n’avez pas à vous faire
de souci pour moi. Je n’ai pas l’intention de parcourir les rues de Devil’s Acre
tout seul. Rassurez-vous, je n’aurai rien à craindre des fous en liberté.
Charlotte hésita : devait-elle faire mine d’être
blessée et soutenir qu’il avait mal interprété ses propos ? Très vite, elle
comprit que cela ne servirait à rien.
— Bien sûr que non. Je suis stupide de vous avoir dit
cela. Mais le Dr Pinchin n’était peut-être pas aussi respectable que le
suggèrent les journalistes ? Bien sûr, ils doivent faire attention à ce qu’ils
écrivent ; le pauvre homme est mort ce matin.
Elle ouvrit de grands yeux et s’enquit d’un air innocent :
— Avait-il une famille ?
— Charlotte !
— Oui, Thomas ?
Il poussa un profond soupir.
— Je vous répète de ne pas vous mêler de cette affaire.
À notre connaissance, le Dr Pinchin est la deuxième victime d’un déséquilibré
qui opère à Devil’s Acre. L’autre corps a également été découvert là-bas. Il ne
s’agit pas du résultat tragique d’une querelle domestique, Charlotte. Cette
fois, l’assassin n’agit pas pour des mobiles que vous êtes si prompte à deviner,
d’ordinaire.
— Un autre mort ? s’écria-t-elle, ignorant le
compliment. Mais les journaux n’en ont pas parlé ! La police tient-elle à
garder le secret ? Qui
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