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Mort à Devil's Acre

Mort à Devil's Acre

Titel: Mort à Devil's Acre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Perry
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l’apostrophe.
    — Avez-vous une petite idée du nombre de prostituées
dans la capitale, mère ?
    Balantyne regarda son épouse et se dit qu’il n’oublierait
jamais l’expression de son visage.
    Elle haussa les sourcils et écarquilla les yeux.
    — Dois-je comprendre, Brandy, que toi, tu le sais ?
demanda-t-elle d’une voix coupante comme un rasoir.
    Les joues de son fils se colorèrent légèrement, mais son
visage conserva l’expression de défi qu’il arborait déjà tout petit quand on
voulait l’obliger à manger du pudding ou à faire la sieste.
    — Quatre-vingt-cinq mille, annonça-t-il, évitant d’ajouter
« environ », ce qui aurait atténué l’impact de sa réponse. Et
certaines d’entre elles n’ont guère plus de dix ou onze ans !
    — Ridicule !
    Pour la première fois, Alan Ross se joignit à la discussion.
    — Ce que dit Brandy n’est que trop vrai, hélas, belle-maman.
Plusieurs membres de la haute société, de réputation irréprochable, ont, depuis
quelque temps, pris la défense de ces malheureuses. De nombreuses enquêtes ont
été menées…
    Christina partit d’un rire aigu et sans joie.
    — Ne sois pas ridicule ! Maman a raison. Comment
une personne de qualité pourrait-elle prendre fait et cause pour des
prostituées ? C’est grotesque. Inutile d’en discuter. Nous frisons l’absurde.
Cette conversation est des plus déplaisantes.
    Balantyne se demanda pourquoi sa fille se ralliait aussi
vite à l’opinion d’Augusta ; cela ne lui ressemblait pas. Il se surprit à
répéter :
    — Quatre-vingt-cinq mille ! Les malheureuses !
    Il avait involontairement utilisé le terme souvent employé
pour désigner les prostituées. Ce mot permettait de minimiser leur misère et
laissait penser que l’on éprouvait de la compassion pour ce monde glauque et
inquiétant.
    Les yeux de Brandy s’étrécirent. Il balaya rageusement la
réflexion de son père, comme s’il avait deviné ses pensées.
    — Les malheureuses… Quel euphémisme ! s’exclama-t-il
avec mépris. Ne prétendez pas que les gens de la bonne société ressentent de la
pitié pour elles, papa, alors qu’ils ne veulent même pas en entendre parler !
Pour preuve, nous venons juste de dire que la prostitution ne constitue pas un
sujet de conversation digne de notre table. Nous préférons faire semblant de
croire qu’elle n’existe pas ou que ces femmes vivent dans le péché par plaisir
et font leur travail la joie aux lèvres…
    — Cesse de dire des âneries, Brandy, le coupa sa sœur. D’abord,
tu n’y connais rien. Maman a raison. Le sujet est très déplaisant et il est
grossier de ta part de nous l’imposer. Nous t’avons déjà bien fait comprendre
que nous ne voulions pas entendre parler de ces choses-là. N’est-ce pas, Jemima ?
ajouta-t-elle à l’adresse de sa belle-sœur, assise en face d’elle. Vous n’avez
certainement pas envie de passer votre dîner à parler de prostitution ?
    Balantyne se pencha en avant, prêt à défendre sa belle-fille
qui était à ses yeux une créature vulnérable, car elle s’était mariée très
au-dessus de sa condition et aimait follement son époux.
    Mais Jemima, avec un sourire, fixa sur Christina son regard
gris et pur.
    — C’est un sujet délicat à aborder, en toute occasion, dit-elle
en souriant. Mais si je regardais la détresse d’autres femmes, qu’elle soit
physique ou morale, sans me sentir bouleversée, alors j’aurais besoin que
quelqu’un me rappelât mes responsabilités d’être humain.
    Il y eut un moment de silence.
    Un sourire radieux éclaira le visage de Brandy dont la main
s’avança, hésitante, comme s’il allait toucher celle de sa femme pour la
remercier.
    — Comme c’est édifiant, fit Christina avec un léger
mépris. À vous entendre, on a l’impression que vous êtes encore dans votre
salle de classe. Vous devriez exercer votre imagination, ma chère ! Passer
pour quelqu’un d’assommant est ce qui peut arriver de pire en société.
    Brandy blêmit.
    — En général, celle-ci pardonne aux hypocrites ; tu
obtiendras donc toujours un franc succès, ma chère sœur, du moins tant que tu
prendras garde à ne pas trop montrer ton jeu, comme tu le fais en ce moment. Un
hypocrite maladroit est pire qu’un fâcheux, c’est un offenseur !
    — Tu ne connais rien aux usages, riposta Christina
soudain crispée, les joues en feu. J’essayais seulement d’aider Jemima. Après
tout

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