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Mort à Devil's Acre

Mort à Devil's Acre

Titel: Mort à Devil's Acre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Perry
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pour de l’argent. Par la suite, il n’avait jamais
remis en question son devoir d’abstinence lorsque l’un ou l’autre était éloigné
de la maison ou souffrant. Augusta n’était pas une femme passionnée ; peut-être
la décence l’en empêchait-elle. Et depuis longtemps il s’était obligé à
discipliner les exigences de son corps ; un tel contrôle fait partie de l’esprit
d’un soldat, au même titre que la maîtrise de l’épuisement, de la douleur ou de
la solitude auxquels il peut être confronté.
    Alan Ross se carra dans son siège.
    — Je suis désolé, dit-il en passant à nouveau la main
dans ses cheveux. Ce n’était pas un sujet à aborder. Je vous ai gâché votre
dîner.
    — Oh, pas du tout, dit Balantyne, revenant à la réalité.
Ce que vous dites est vrai, corrigea-t-il aussitôt. Une telle situation est
effroyable. Mais l’on ne peut blâmer les gens s’ils préfèrent ignorer ce qui
est susceptible de les détruire. Dieu sait qu’un proxénète ne mérite pas de
vivre, mais le meurtre n’est pas la réponse au problème. Et cette mutilation
est un acte de barbarie.
    — Êtes-vous jamais allé à Devil’s Acre, papa ? demanda
Brandy, cette fois avec moins de fougue, le visage grave. Ou dans quelque autre
bas-fond de la capitale ?
    Balantyne savait à quoi pensait son fils. Dans le combat
quotidien qu’ils menaient pour survivre dans un monde de pauvreté et de
désespoir, comment ces gens pouvaient-ils ne pas se montrer barbares ? Le
souvenir de campements militaires lui revint en mémoire… la Crimée, Scutari, la
mort soudaine, violente… la sauvagerie des hommes de troupe dans les villes
durant les journées et les nuits précédant la bataille. Du jour au lendemain, ils
pouvaient se retrouver mutilés, créatures anonymes sous le soleil africain ou
dans les neiges de l’Himalaya. S’il ne connaissait pas son fils, celui-ci ne le
connaissait pas non plus.
    — Brandy, répondit-il, trente ans dans l’armée m’ont
appris ce qu’il peut se passer dans la tête d’un homme. Ma réponse te
convient-elle ?
    Brandy termina son verre de porto.
    — Non. Seulement, je trouve inacceptable d’éluder la
question plus longtemps.
    Balantyne se leva.
    — Nous devrions aller rejoindre ces dames au petit
salon avant qu’elles ne se rendent compte que nous avons encore abordé ce
pénible sujet.
    Alan Ross se leva à son tour.
    — Je connais un membre du Parlement que j’aimerais rencontrer.
Accepteriez-vous de m’accompagner, Brandy ? Nous pourrions lui être utiles.
J’ai entendu dire qu’il voulait présenter un projet de loi à la Chambre.
    — À quel sujet ? demanda Brandy en leur emboîtant
le pas.
    — La prostitution infantile, évidemment, répliqua Ross
en ouvrant la porte. Mais je vous en prie, n’en parlez pas devant Christina. Cela
la mettrait dans tous ses états.
    Cette remarque fit plaisir à Balantyne. Il avait cru
comprendre, en entendant sa fille, qu’elle jugeait ce sujet non pas douloureux,
mais plutôt de mauvais goût. Cela changeait tout. Il eut honte de l’avoir mal
jugée. Mais il ne trouva rien à répondre à son gendre ; s’excuser aurait
révélé le fond de sa pensée.
     
    Peu avant minuit, quand les invités furent partis, Balantyne
suivit sa femme qui montait lentement à l’étage.
    — Vous savez, chaque fois que je vois Alan, je l’apprécie
un peu plus. Christina a beaucoup de chance d’avoir un mari comme lui.
    Elle se retourna et le dévisagea avec froideur.
    — Que voulez-vous dire ?
    — Eh bien, que même avec la meilleure volonté du monde,
les gens ne sont pas nécessairement comme on les imaginait. Alan Ross se révèle
être encore mieux que nous ne l’avions supposé lors de notre première rencontre.
    — Parlez pour vous ! Vous imaginez-vous que j’aurais
laissé ma fille épouser un homme sans m’assurer qu’il possédait de réels
mérites ?
    Piqué au vif, Balantyne répondit sans réfléchir :
    — Nous n’avions guère le choix, à l’époque…
    Le regard d’Augusta lui était aussi étranger que celui d’une
inconnue qu’il aurait bousculée dans la rue par mégarde. L’impression de
bien-être qu’il avait éprouvée au cours du repas s’évanouit comme par maléfice.
    — Je veille toujours à faire le bon choix, dit-elle d’un
ton sans réplique. Doutez-vous de ma compétence ?
    Cette idée ne lui avait jamais traversé l’esprit, depuis le
jour de leur

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