Mort à Devil's Acre
général sera ravi de constater que tu es toujours célibataire.
— Mais qu’est-ce que tu…
Charlotte ne termina pas sa phrase, soudain consciente que
les paroles de sa sœur n’étaient pas dénuées de bon sens. Christina Balantyne n’inviterait
jamais à sa table l’épouse d’un policier. Si elle se doutait que les deux sœurs
étaient résolues à élucider un meurtre, elle ne leur laisserait pas franchir le
seuil de sa maison.
Et puis, ne se sentaient-elles pas tenues, par devoir moral,
de tenter d’élucider ces crimes ? Il fallait bien l’avouer, elles s’étaient
montrées particulièrement douées par le passé !
— Je suppose que tu as raison, Emily, reconnut-elle
avec humilité.
Pour mener leur enquête de façon efficace, elles devaient
rassembler toutes les informations possibles. Mais arracher un renseignement à
Pitt n’était pas besogne aisée ! Apparemment, son travail piétinait. Il
arpentait chaque jour les ruelles sordides de Devil’s Acre, cherchant à glaner
par-ci, par-là quelques indiscrétions. Mais s’il était sur le point de trouver
le lien qui unissait Max, le Dr Pinchin et Bertie Astley, il n’en avait soufflé
mot à Charlotte.
— Thomas ? murmura-t-elle.
Pitt ouvrit les yeux et la regarda. Il était tard ; il
s’était assoupi devant la cheminée du salon. Elle avait choisi son heure avec
soin.
— Du nouveau sur Max ? s’enquit-elle, l’air de
rien.
— Je sais tout ce qu’il y a à savoir sur Max, répondit-il
en s’enfonçant dans son fauteuil, puis il ajouta, en l’observant à travers ses
cils : Excepté le nom de ses clients, de ses pensionnaires et de son
assassin.
Charlotte se trouva prise au dépourvu !
— Oh… Il ne tenait donc ni livres de comptes, ni
carnets de rendez-vous ? Ou les aurait-on subtilisés ?
— Le meurtre a eu lieu dans la rue, remarqua-t-il. À moins
qu’il ne s’agisse du tenancier de son établissement, l’assassin n’a pas eu l’occasion
de fouiller dans ses papiers. De toute façon, d’après ce que j’ai pu découvrir,
Burton ne possédait ni livres, ni carnets. Il se servait de sa mémoire et se
faisait payer en liquide.
— Dans ce cas, comment pouvait-il faire chanter les
gens ? s’étonna Charlotte.
Pitt retira ses pieds du garde-feu – il commençait à avoir
trop chaud.
— À ma connaissance, il ne faisait chanter personne. Mais
il savait assez de choses compromettantes pour ruiner une réputation, sans
besoin de preuves écrites. Une phrase bien placée, avec quelques noms et
adresses à l’appui, aurait amplement suffi. De simples soupçons peuvent
détruire une renommée. Cela dit, il est possible qu’une rivalité
professionnelle soit à l’origine du crime. Max empiétait sur le territoire de
ses concurrents. De toute manière, cela ne vous regarde pas. Ce n’est pas une
affaire où un détective amateur peut aider la police.
En croisant son regard, Charlotte se sentit tout à coup
beaucoup moins sûre d’elle. Puis elle se rassura en se disant qu’elle ne
procédait pas à une véritable enquête ! Il lui suffisait d’ouvrir les yeux
et les oreilles et de noter mentalement toute information qui pourrait se
révéler utile.
— Oui, Thomas, bien sûr… Mais il est naturel que je m’y
intéresse, non ? conclut-elle, très raisonnable.
En revanche, elle fit preuve d’une extraordinaire mauvaise
foi dans sa façon de lui présenter l’invitation à dîner chez les Ross le mardi.
Comme elle s’en doutait, Pitt travaillait ce soir-là. Elle lui raconta qu’ils
étaient conviés à dîner avec George et Emily, et lui demanda l’autorisation d’y
aller sans lui, s’il n’y voyait pas d’inconvénient. Elle ne doutait pas de son
accord : depuis le début de l’affaire, il ne l’avait pas conduite une
seule fois au restaurant ou au théâtre ! Il n’était pour ainsi dire jamais
à la maison avant une heure avancée de la soirée. Et puis, elle n’avait menti
que par omission : elle allait vraiment dîner avec sa sœur et son
beau-frère. Même si ce n’était pas chez eux, comme elle le laissa croire à Pitt.
Comme d’habitude, Emily lui prêta une robe et sa camériste l’aida
à se coiffer. Charlotte n’eut aucun scrupule à la lui emprunter puisque le
dîner avait été arrangé par sa sœur avec la complicité d’Alan Ross.
La robe de soie abricot agrémentée d’une dentelle délicate, d’une
nuance légèrement plus foncée,
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