Mort à Devil's Acre

t’appréciait
infiniment, déclara-t-elle, passant du coq à l’âne.
    Une légère rougeur envahit les joues de Charlotte et un
léger frisson d’excitation la parcourut. Que le général l’appréciât n’était pas
pour lui déplaire. Elle ne prit pas la peine de protester.
    — Christina est très bien placée pour connaître le
genre de femmes que recrutait Max, poursuivit Emily. Elle pourrait nous être
très utile.
    — Christina Ross ? Elle ne nous aiderait même pas
à traverser la rue, si nous étions aveugles ! s’exclama Charlotte qui
avait gardé un souvenir très vif de Callander Square. Elle se ferait un plaisir
de me pousser dans le caniveau !
    — C’est pourquoi nous devons d’abord rencontrer son
père, expliqua Emily avec une pointe d’impatience. Si tu sais y faire, il t’aidera
autant que tu le désires. Attention ! Voilà Alan Ross ! Je savais qu’il
n’en aurait pas pour longtemps.
    Elle le regarda s’approcher et lui décocha un sourire
éblouissant. Alan Ross lui rendit son sourire et souleva poliment son chapeau. Son
visage reflétait une certaine perplexité ; il n’était pas sûr de connaître
cette dame. Puis son regard croisa celui de Charlotte et ses traits s’adoucirent.
    — Miss Ellison ! Quel plaisir de vous revoir !
J’espère que vous allez bien ? Un problème avec l’attelage ? Je peux
vous déposer quelque part, si vous le souhaitez.
    — Merci, rien de grave, je crois, répondit Charlotte
avec vivacité. Emily, te souviens-tu de Mr. Ross ? Ma sœur, Lady Ashworth…
Mr. Ross…
    Elle aurait voulu discrètement lui faire savoir qu’elle
était en réalité Mrs. Pitt. Durant les événements de Callander Square, elle s’était
fait embaucher sous son nom de jeune fille, pour les besoins de l’enquête, au
service du général Balantyne, se présentant comme une jeune femme célibataire à
la recherche d’un emploi.
    Mais Emily ne lui laissa pas le temps de cette mise au point.
Elle tendit la main à Alan Ross.
    — Bien sûr, je me souviens de Mr. Ross ! Transmettez
mes amitiés à votre épouse. Il y a fort longtemps que je ne l’ai vue ! Nous
sommes tellement prises par nos obligations mondaines que nous négligeons de
voir les personnes qui nous sont chères. Votre épouse est si charmante ! J’ai
hâte de la revoir.
    Emily avait toujours cordialement détesté Christina !
    — Charlotte m’a souvent parlé d’elle, ajouta-t-elle
sans se départir de son lumineux sourire. Oui, nous devons absolument lui
rendre visite. J’espère qu’elle nous pardonnera notre négligence.
    — Je suis sûr qu’elle sera ravie de vous revoir, répondit
Alan Ross.
    Comme s’il avait pu dire autre chose !
    Emily parut enchantée par cette perspective.
    — Eh bien, voulez-vous l’avertir que Lady Ashworth et
Miss Ellison lui rendront visite mardi prochain ? Si elle reçoit le mardi,
bien entendu.
    — Je n’y manquerai pas. Mais ne voudriez-vous pas
plutôt venir dîner ? Ce serait beaucoup plus plaisant. Oh, en toute
intimité… Lord Ashworth pourrait se joindre à nous, s’il n’est pas pris par d’autres
engagements…
    — Très volontiers ! s’empressa d’accepter Emily.
    Elle veillerait à ce que George soit bien libre ce soir-là. Sinon,
elle lui ferait annuler tous ses rendez-vous.
    Alan Ross s’inclina légèrement.
    — Dans ce cas, je vous ferai envoyer trois invitations.
Êtes-vous certaine que vous n’avez pas besoin d’aide ? répéta-t-il en
regardant le cocher, qui se tenait presque au garde-à-vous à côté du cheval.
    — Non, non, tout ira bien, le rassura Emily.
    — Alors je vous souhaite un excellent après-midi, Lady
Ashworth. Miss Ellison…
    Son regard s’arrêta longtemps sur le visage de Charlotte. Il
lui sourit, puis tourna les talons et partit en direction de son attelage.
    William aida Emily à monter en voiture, Charlotte la suivit
et se laissa tomber sur la banquette.
    — Mais qu’est-ce qui t’a pris ? s’exclama-t-elle, furieuse.
Pourquoi continuer à lui laisser croire que je suis Miss Ellison ? Je n’ai
pas besoin de trouver du travail chez Christina !
    Emily tira le pli de sa robe sur laquelle Charlotte s’était
assise par mégarde.
    — Crois-tu que nous parviendrons à découvrir quelque
chose s’ils apprennent que tu es mariée à un policier ? Et qui plus est, à
l’inspecteur chargé de l’enquête sur les meurtres de Devil’s Acre ? Sans
compter que le