Mort à Devil's Acre
paraissait neuve. Charlotte se dit que sa sœur l’avait
peut-être achetée à son intention, pour la soirée. Emily ne s’habillait jamais
dans ces tons chauds, qui ne se mariaient pas avec la blondeur de sa chevelure
et le bleu de ses yeux. En revanche, c’était une couleur idéale pour mettre en
valeur un teint vif et des cheveux bruns aux reflets cuivrés.
Charlotte ressentit une soudaine gratitude envers sa sœur, qui
lui avait généreusement procuré, et de manière si discrète, une toilette qui la
flattait. Elle décida de la remercier sans trop d’outrance, pour laisser au
cadeau toute sa délicatesse.
Telle une duchesse se préparant à entrer dans sa salle de
réception, elle quitta le dressing et descendit majestueusement l’escalier. Arrivée
en bas des marches, elle exécuta une profonde révérence devant Emily, qui l’attendait
dans le vestibule. L’excitation qui la gagnait la faisait rayonner.
— Elle est parfaite, dit-elle en se redressant plus
maladroitement qu’elle ne l’aurait voulu. Je me sens prête à éblouir tout le
monde et à rendre Christina verte de jalousie ! Merci, Emily.
Celle-ci portait une robe aigue-marine très pâle ; des
diamants brillaient à ses oreilles et à sa gorge, étincelants comme le reflet
du soleil couchant sur une eau pure. Les deux sœurs offraient un saisissant contraste,
ce qui bien sûr était le but recherché, encore qu’Emily ne se soit peut-être
pas attendue à voir Charlotte aussi resplendissante. Mais si tel était le cas, elle
maîtrisa rapidement sa surprise et lui adressa un sourire lumineux et
approbateur.
— À présent, surtout pas d’impair ! la
prévint-elle. Les gens de la bonne société adorent s’admirer devant leur miroir,
mais ils détestent voir le reflet de leur âme ou de leurs pensées dans les yeux
de leur interlocuteur. Je te serai très obligée de garder cela à l’esprit, avant
d’exprimer la moindre opinion !
— Oui, Emily.
Elle lui devait bien cela pour la robe.
Elle avait de toute évidence pris soin d’informer son époux
du but de leur visite chez les Ross. George avait accepté de les accompagner, et
de se retenir d’éclairer leurs hôtes sur le mariage de Charlotte et son actuel
statut social, bien que cette dernière doutât qu’Emily lui en ait expliqué la
vraie raison !
Christina Ross les reçut avec une froideur manifeste ; l’invitation
ayant été lancée par son mari, elle ne pouvait décemment pas l’annuler et avait
donc bien dû s’en accommoder.
— Lord Ashworth, Lady Ashworth, comme c’est gentil à
vous d’être venus, dit-elle avec un petit sourire crispé.
George s’inclina et lui adressa un vague compliment sur sa
beauté.
— Oh… Miss Ellison…
Le regard de Christina s’attarda avec une légère surprise
sur la robe de Charlotte, laissant ainsi entrevoir son mépris pour une personne
de rang inférieur qui osait porter une toilette manifestement au-delà de ses
moyens.
— J’espère que vous allez bien ? reprit-elle avec
une interrogation dans la voix.
La question tombait à plat, car, de toute évidence, Charlotte
resplendissait de santé et de bonheur. Aussi, sans attendre de réponse, Christina
invita-t-elle ses hôtes à s’asseoir.
George pensait que son épouse et sa belle-sœur avaient tort
de se mêler d’affaires criminelles ; en outre, il connaissait fort peu
Bertie Astley. Mais c’était un homme conciliant, aussi longtemps qu’on ne le
critiquait pas ouvertement et qu’on ne le privait pas de ses plaisirs habituels.
Au fil des années, Emily s’était révélée une épouse exemplaire : ni trop
dépensière, ni trop curieuse, elle se mettait rarement en colère, ne boudait
pas et ne rabrouait jamais son mari. Elle était bien trop fine pour éprouver le
besoin de le harceler.
Il avait tout de même conscience d’avoir modifié
quelques-unes de ses petites habitudes, pour la contenter. Mais ces changements
avaient été moins difficiles qu’il ne l’aurait imaginé ; lorsque l’on se
marie, ne doit-on pas être prêt à faire quelques menues concessions ? Il
ne voyait donc pas d’objection à se plier à ses désirs, en cherchant à entrer
dans les bonnes grâces de Christina Ross, si Emily le jugeait utile. George
savait très bien que cela ne servait pas à grand-chose, mais si cela l’amusait,
après tout, pourquoi pas ? Il ne voyait rien là de déplaisant.
En revanche, il avait depuis longtemps renoncé
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