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Mort à Devil's Acre

Mort à Devil's Acre

Titel: Mort à Devil's Acre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Perry
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hypocrisie, elle
ne se rebellait pas contre celle-ci.
    Loin d’éprouver de la sympathie pour Christina Ross, elle
comprenait toutefois son admiration pour les rares femmes qui osaient briser
les chaînes de leur prison dorée et rivaliser avec les hommes sur leur propre
terrain, au point de tout risquer pour une folle nuit de mascarade dans une
maison comme celle de Max à Devil’s Acre. Pour sa part, Emily jugeait ce
comportement tout à fait stupide. Il fallait être totalement écervelée pour
espérer rendre à son mari la monnaie de sa pièce de façon aussi sordide.
    Mais elle savait aussi que l’ennui peut faire perdre tout
sens commun, y compris celui de sa sauvegarde. Elle avait vu des femmes
désespérées, se croyant follement éprises, se lancer à corps perdu vers leur
propre destruction, comme des lemmings avançant vers la mer. En général, elles
étaient jeunes ; il s’agissait de leur première passion. Mais au fond, seule
peut-être l’apparence extérieure changeait-elle avec le temps ? L’habitude
aidant, on apprend à dissimuler sa vulnérabilité. Le sentiment de désespérance
intime ne reste-t-il pas le même, à tout âge ? Il se pouvait donc que
parmi les relations de Christina, elle rencontrât ce soir-là au moins une des
protégées de Max.
    Elle avait souhaité la présence de sa sœur à ce bal en
raison de ses dons d’observation. Dans certaines circonstances, Charlotte se
montrait très naïve, mais parfois elle faisait preuve d’une surprenante
perspicacité. Au surplus, Christina ne l’aimait guère ; curieusement, on
aurait dit qu’elle l’enviait. Sous le coup d’une vive émotion, peut-être se
trahirait-elle ? Charlotte pouvait être resplendissante lorsqu’elle était
heureuse, quand elle accordait toute son attention à quelqu’un, comme par
exemple, de façon inexplicable aux yeux d’Emily, au général Balantyne. Si
quelque chose risquait de faire perdre son sang-froid à Christina, c’était bien
de voir Charlotte plaisanter avec son père – et peut-être même avec Alan Ross.
    Emily, George et Charlotte se rendirent donc au bal organisé
par Lord et Lady Easterby en l’honneur de leur fille aînée. Ils arrivèrent avec
le léger retard autorisé par l’étiquette, ce qui leur permit de soulever un
murmure appréciateur parmi la foule d’invités qui se pressaient déjà dans le
grand salon.
    Emily avait revêtu une robe vert d’eau, sa couleur préférée,
qui flattait son teint clair ; ses boucles blondes auréolaient son visage
et accrochaient la lumière. Elle évoquait la fraîcheur impalpable d’un matin d’été
anglais, lorsque les fleurs viennent d’éclore et que l’air vibre de taches de
lumières changeantes.
    Elle avait pris grand soin de la toilette de sa sœur, en
pensant à ce qui attirerait le plus le général, et par conséquent irriterait
Christina. Charlotte fit donc une apparition remarquée dans un grand
bruissement de satin bleu gentiane très lumineux qui flattait sa gorge et
accentuait les reflets cuivrés de sa chevelure. Elle évoquait la touffeur d’une
nuit tropicale après un coucher du soleil flamboyant, lorsque la terre est
encore chaude. Si elle avait deviné les intentions de sa sœur, elle ne lui en
fit pas la remarque. Ce qui était aussi bien, car Emily doutait que la droiture
de Charlotte lui eût permis d’accepter un tel plan, à supposer qu’elle l’ait
compris – et même si elle était d’accord sur le principe. D’ailleurs, avec la
meilleure volonté du monde, elle n’avait jamais été capable de chercher à
séduire ! Mais depuis fort longtemps, elle n’avait pas eu l’occasion de s’habiller
avec autant d’élégance et de danser toute une nuit. Elle ne se rendait même pas
compte qu’elle avait envie de s’amuser.
    Leur arrivée provoqua un certain émoi dans l’assistance ;
le titre de George et le fait que Charlotte leur était inconnue, et par là même
d’autant plus mystérieuse, auraient suffi à attirer l’attention, quelle que
soit leur apparence. Mais la beauté des deux sœurs déclencha une vague de
spéculations susceptibles d’alimenter les conversations mondaines pendant un
mois.
    Christina Ross prendrait sans doute très mal le fait d’être
éclipsée. « Tant mieux ; cela pimentera la soirée », songea
Emily, qui se demanda toutefois, un peu angoissée, si elle ne s’était pas
trompée de tactique. Qu’adviendrait-il si son stratagème

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