Mort d'une duchesse
hivernaux : sang, cire et
fumée des bougies, parfum et sueur, sang. La chemise était froissée à la taille
autour du sombre manche du poignard qui y était fiché, et les cuisses luisaient
d’une pâle lueur.
— Je l’ai trouvée ainsi, articula le duc d’une voix à peine
plus haute qu’un murmure.
Sigismondo s’avança. Prolongeant le geste avec lequel il
venait de se signer, il toucha le cou de la duchesse juste au-dessous de l’oreille.
Il apposa le dos de sa main sur la joue de la jeune femme, fredonna, puis observa
d’un air songeur le corps allongé, sans toucher au poignard. Ensuite il poussa
une porte dérobée entrouverte près de la tête du lit et jeta un coup d’œil à la
petite alcôve qu’elle dissimulait et dans laquelle brûlait une chandelle. Une
détonation du feu d’artifice qu’avait offert la duchesse se fit entendre par la
fenêtre du boudoir. Les volets de la chambre étaient fermés, et l’odeur de la
mort était forte, contraire aux sens humains.
Sigismondo se tint la tête penchée de côté, comme pour
écouter quelque chose, puis opéra un mouvement si brusque qu’il fit sortir le
duc de sa torpeur. De la cascade de rideaux de brocart entourant le pied du lit,
Sigismondo tira un corps inerte. La tête bascula en arrière, montrant une
écorchure rouge à l’arcade sourcilière. Des cheveux bruns s’étalèrent sur la
manche de Sigismondo. Là encore, la bouche était ouverte, mais elle respirait
toujours.
— Leandro Bandini ?
Le duc était dérouté. Il désigna l’espèce de filasse qui
paraissait recouvrir le corps comme une fourrure animale.
— L’Homme sauvage ?
— Selon toute apparence, seigneur.
Sigismondo se pencha pour sentir l’haleine du jeune homme ;
il demeura un instant immobile, les narines frémissantes et la bouche
entrouverte, comme un félin humant le fumet d’une proie. Il renifla une
nouvelle fois. Le duc posa la main sur la table de toilette comme pour se
retenir de tomber.
— Ivre ! Il vient ici ivre, force ma dame et la
tue pour sauver sa tête.
Sigismondo examina les mains du jeune homme et s’abstint de
faire remarquer que si telle avait été au départ l’intention de Leandro Bandini,
les choses avaient en tout cas mal tourné pour lui.
— Pas ivre, mon seigneur. C’est une drogue que je sens.
Il n’y a aucune trace de sang sur ses mains, ni sur sa pelisse de sauvage.
Il se redressa.
— Seigneur, c’est bien un Bandini. Nous n’avons certes
aucune raison de croire en la parole de Di Torre ou de Bandini ; mais nous
ne devons pas non plus nous fier sans examen à ce qui paraît être leur œuvre.
Le duc considéra Sigismondo.
— Enfermez-le dans le donjon, dit-il. Et qu’il n’ait de
contact avec personne, sauf autorisation expresse de ma part.
Sigismondo se pencha pour soulever le jeune homme, mais le
duc l’arrêta.
— Attendez, dit-il.
Il ôta de son doigt une lourde bague de sardoine portant les
armes de Rocca et la tendit à Sigismondo.
— Questionnez quiconque vous jugerez bon.
La première personne que choisit d’interroger Sigismondo fut
le festaiuolo engagé par la duchesse pour mettre en scène les
réjouissances du banquet. Il avait reçu un message du duc annulant le reste des
festivités, et Sigismondo le trouva dans l’antichambre du grand hall : c’était
un petit homme fort agité par l’appréhension et la contrariété, et qui s’efforçait
d’apaiser la frustration des comédiens privés de leurs numéros.
Ceux-ci tournicotaient en grommelant, ne montrant aucun
empressement à ôter les costumes qu’ils avaient perdu toute chance d’exhiber, tandis
que Niccolo Sanseverino s’efforçait de récupérer coiffures et accessoires, telles
les dents en acier de la Jalousie ou la perruque de la Fortune, avec un toupet
sur le devant et aucun cheveu derrière. La harpe dorée d’Orphée reposait dans
un panier en osier, côtoyant une corne d’abondance également dorée qui
dégorgeait feuilles de soie verte, pommes, poires et raisins de cire ; un
empilement de rubans ; l’arc et le carquois dorés de Cupidon. L e
festaiuolo ne semblait pas du tout disposé à consacrer la moindre parcelle
de son temps à Sigismondo, jusqu’à ce qu’il remarque l’anneau du duc.
— Bien sûr. Tout mon possible, messire. Le duc peut
disposer de moi à tout moment. Mais vous devez savoir que ce soir je suis aux
ordres de la duchesse.
Du visage de Sigismondo, ses petits yeux
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