Mort d'une duchesse
membres étaient aussi changeants que des nuages d’été, qu’il avait
rencontré Angelo. Pendant que l’on mangeait la soupe de chou et de porc, il
décrivit avec force gestes le numéro qui leur avait valu leur meilleur succès. Barley
y était vêtu d’une peau d’ours – et à voir leur expression, ses auditeurs
n’avaient aucun mal à l’imaginer fort convaincant dans cet accoutrement –
et luttait avec Angelo qui, à chaque fois, sortait vainqueur et lui faisait
faire le tour de l’assistance en quêtant.
Angelo chantait comme un rossignol, comme un choriste de
cathédrale… et il savait danser ! Barley se pencha en travers de la table
et saisit la manche de son ami.
— Je peux te dire que c’est le meilleur danseur du monde.
Il est léger comme une putain de fée. Debout, Angelo !
Barley agita sa main puissante au-dessus des couverts.
— Allez, montre-leur !
Il regarda tour à tour les convives en agitant sa barbe rousse,
puis rassura leur hôtesse.
— Ne craignez rien ! Il ne touchera pas une
assiette et ne cassera aucun verre.
Angelo, dont les yeux étaient restés aussi modestement
baissés que ceux d’une bonne sœur pendant qu’on le complimentait, obtempéra à l’encouragement
général. Un pied sur son banc, l’autre sur la table et le voilà parti, tandis
que Barley frappait en cadence dans ses mains en chantant une d’une voix profonde, à danser
sur la table au milieu des assiettes, des bouteilles et des verres, parmi
cuillères et morceaux de pain. La belle-sœur, à présent presque écarlate, tapait
dans ses mains avec autant de vigueur que les autres, et se souvint vaguement
avoir entendu dire que les anges étaient capables de danser sur la pointe d’une
aiguille. estampie [7]
Même la nonne frappait dans ses mains. Sigismondo attendit
qu’ Angelo ait sauté à terre et accepté un verre de vin des mains de la veuve, béate
d’admiration. Puis, comme Barley l’avait fait avec lui, il se pencha par-dessus
la table et saisit non la manche mais le devant de la tunique du jeune homme, qu’il
froissa d’une main puissante.
— Tu as une histoire à me raconter, Homme sauvage.
CHAPITRE XV
« J’essaie d’attraper un nuage »
Pendant quelques instants, les yeux gris fixèrent les yeux
marron, puis la table assista à la résurrection du vipéreau ; surgi de
nulle part, un couteau étincela dans la main d’Angelo. Sigismondo lâcha le
pourpoint du jeune homme et lui saisit le poignet, Barley rugit et se leva d’un
bond en renversant le banc, la belle-sœur poussa un hurlement aigu comme un
coup de sifflet et la servante, qui apportait un plat d’oignons farcis au jambon
et au fromage, le lâcha et se précipita en direction de la porte. Sigismondo
repoussa Barley d’un coup de poing à la poitrine qui le fît trébucher sur le banc
et s’effondrer dans les oignons, et tordit si violemment le poignet d’Angelo
que le couteau tomba sur la table, ébréchant un verre que le danseur avait su épargner
avec tant d’habileté.
— Du calme ! Je suis ton ami. Tout ce que je veux,
c’est que tu me racontes ton histoire !
Grondant et haletant tel Lucifer après sa chute, Angelo
enveloppa Sigismondo, qui le plaquait sur la table, d’un regard aussi furieux
qu’incrédule. La belle-sœur avait fermé les yeux pour mieux hurler.
— Je t’en fais le serment, je ne te veux aucun mal, répéta
Sigismondo dans le vacarme.
— Vous n’êtes pas venu me tuer ?
Sigismondo lâcha le poignet d’Angelo et éclata de rire. Barley,
affalé par terre au milieu des débris, fut secoué à son tour par un profond
rire de ventre.
— Te tuer ? N’est-ce pas toi qui étais là pour me tuer ?
Angelo, tout en frottant son poignet blanchi par la pression
des doigts de Sigismondo, se força à sourire.
Il se leva et regarda ce dernier, qui ne fit pas le moindre
geste pour confisquer le couteau ou se lever.
Mais sa voix se fit grave.
— Si tu penses que ta vie est en danger, la raison en est
celle-là même pour laquelle on a voulu que Barley me supprime. Tout cela est un
mystère, et nous avons besoin de ton aide pour l’éclaircir.
Angelo, à nouveau docile, récupéra son couteau et le rengaina.
Tout en mâchonnant un oignon ramassé par terre et en se débarrassant des
miettes de fromage qui constellaient son habit, Barley redressa le banc pour que
les convives puissent se rasseoir. La veuve Costa reposa la serviette qu’elle
pressait
Weitere Kostenlose Bücher